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Pragmatique : Alors Furetante, ce tableau que tu guignais, tu as réussi à l’acheter ?

Furetante : Pragmatique, je te le dis, je suis furieuse, vraiment. Toutes les conditions étaient réunies pour que je l’obtienne. Personne n’avait remarqué ce joli nu de femme. Et surtout le rythme des enchères se ralentissait, se ralentissait. Tu sais, quand une salle dort, c’est le moment d’acheter…

Pragmatique : Ah oui ?

Furetante : Enfin, si tu arrives à lutter contre la léthargie générale. Contagieux cette chose, ça vous plombe les paupières et hop, on dort quasiment debout. Du coup les tableaux se vendent mal. Mais moi je me pinçais le gras du bras pour rester éveillée en attendant vaillamment mon joli nu.

Furetante se redresse sur son siège: Dis, tu veux que je te montre mes bleus ? C’est qu’on paye de sa personne dans une salle des ventes !

Pragmatique : Très peu pour moi, laissons ton anatomie de côté. Si tu me racontais ce qui s’est passé.

Furetante : C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit. Enfin disons plutôt que c’est la sieste des acheteurs qui était profonde, on aurait entendu les mouches voler. Même les rugissements du commissaire-priseur de la salle voisine : « Commissionnaire, montrez à mon public adooooré !!! » ne réussissaient pas à réveiller les dormeurs.

La petite commissaire-priseuse dont c’étaient les débuts pleurait presque de dépit à force de ravaler les lots faute d’enchères. Pas une seule enchère, les mains restaient dans les poches.

- Mais regardez donc ce que l’on vous vend, suppliait-elle, au bord du désespoir.

J’ai vu alors le crieur faire preuve de ce métier absolument sidérant que lui et ses collègues savent mobiliser dans les situations désespérées.

Il s’est avancé vers la tribune et a glissé quelques mots à l’oreille de la commissaire-priseuse. J’étais suffisamment près pour pouvoir lire sur ses lèvres:

- Vous en faites pas, je m’en vais vous les réveiller, moi !

Le tableau présenté était un portrait de l’Ecole de Paris, une belle œuvre tout en puissance, presque digne d’un musée.

- Non, mais vous avez vu cette abomination?! s'est mis à beugler le crieur. Ça, c’est vraiment hideux ! Maître, on ne devrait pas avoir le droit de vendre des horreurs pareilles !

Curieusement, le bruissement des respirations endormies s’est fait moins régulier

- Qui en veut de cette croûte ? continue le crieur en toisant l’assemblée.

Puis il jette son dévolu sur une dame au visage avenant bien que plus tout jeune.

- Je sais c’est Madame Colas qui va s’y coller. Chez elle, ça va faire très bien ! Entre le coucou suisse et le bouquet de mariée de sa grand-mère, ça va être classe je vous dis pas. Allez 3000 euros pour vous, et je vous fais une fleur !

Madame Colas pousse des cris effarouchés.

- Enfin qu’est-ce que je dis, fais le crieur, 3000 euros, c’est pas assez, allez 3 millions ! Vous n’en voulez toujours pas ? disons 3 euros alors !

Hilare, Madame Colas fait une enchère à trois euros.

- Ah mais je savais bien qu’elle en voudrait ! Qu’est-ce que ça va être beau chez vous ! Vous m’invitez quand ?

À côté de moi, mon voisin se réveille et murmure :

- Mais c’est pas mal du tout ce tableau.

Et tu ne me croiras pas, Pragmatique, mais les enchères sont montées jusqu’à huit cent euros pour ce tableau.

Pragmatique : Et ton tableau à toi, ton nu de femme dans tout ça ?

Furetante : J’y viens. Voilà mon nu qui arrive dans la salle...

- Allez, un beau nu, fait le crieur. Ne le répétez pas, mais le modèle est dans la salle. Non, non, Madame Colas, ce n’est pas vous. Mais achetez le quand même, pour comprendre ce que vous avez manqué.

Pragmatique : Mais c’est cruel de dire ça!

Furetante : Mais non, tu aurais vu Mme Colas, elle riait de toutes ses dents, ravie d’être le point de mire de l’assemblée.

Et pour le coup, tout le monde s’est mis à enchérir. La salle était réveillée. Mon nu a été adjugé à un prix faramineux et s’est envolé hors de ma portée.

Pragmatique : Tant pis ce sera pour une autre fois ! Un jour ou le crieur ne fera pas de zèle !

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