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Le critique d'art apparaît en France

La critique d’art apparaît en tant que discipline à part entière en 1719. Avant cette date, des peintres avaient bien évidemment écrit sur leurs propres œuvres ou celles de leurs pairs. Mais c’était un phénomène interne à une profession et non la reconnaissance de l’art comme un domaine d’exercice de la réflexion humaine au même titre que la philosophie, le droit ou la science. C’est le philosophe français Jean-Baptiste Dubos avec ses Réflexions critiques sur la poésie et la peinture qui a lancé le genre de la critique d’art. Le critique d’art se définit alors comme un penseur qui ne crée pas lui-même mais émet une réflexion et un jugement d’ordre esthétique sur les œuvres.

Tout au long du XVIIIème siècle, les peintres exposent leurs œuvres majeures dans les Salons de peinture, véritables événements sociaux où les tableaux sont offerts à l’appréciation du public et des critiques d’art. Dans la continuité des Salons, les écrits des critiques d’art sont d’abord publiés dans les journaux et gazettes puis ils sont progressivement rassemblés dans des livres. C’est ainsi que se constitue le premier corpus de critique d’art à proprement parler.

Cette démarche atteint un point culminant lorsque les diverses critiques d’œuvres écrites par le philosophe Diderot au cours de sa vie sont réunies à titre posthume dans Essais sur la peinture, publié en 1795. La notion de critiques d’art se constitue autour d’esprits libres qui mettent en mots le domaine pictural, avec une grande indépendance, pour l’intérêt de la réflexion en elle-même.

Au XIXème siècle, le critique d'art est le vecteur de la pensée unique

Au cours du XIXème, l’abondance des galeries, des salons et des journaux permet le développement de la profession de journaliste/critique d’art. Leurs écrits deviennent peu à peu la tribune d’expression de la pensée officielle en matière d’art. Les tableaux sélectionnés et reconnus par les critiques sont ceux qui représentent le goût des classes installées. Pour celles-ci, la peinture est un moyen de reconnaissance de leur statut social notamment à travers la pratique des portraits. Progressivement, l’indépendance d’esprit du critique d’art s’amenuise : il écrit pour flatter le goût et valider les achats de son public.

Honoré Daumier, Le critique d'art

Cependant quelques rares voix dissidentes s’élèvent. C’est ainsi que Baudelaire, dans sa critique du Salon de 1845, dédaigne le favori du public, Ingres, au profit de Delacroix qu’il qualifie de « peintre le plus original des temps anciens et des temps modernes ». Mais le rôle majeur du critique d’art se réduit trop souvent à barrer la voie à la nouveauté et à toute expression artistique qui bouscule les goûts officiels : Manet avec son Olympia, les Impressionnistes et les Fauves sont ainsi successivement décriés.

Honoré Daumier, Le Salon de 1859
Honoré Daumier, Le Salon de 1859

Louis Vauxcelles est le parfait exemple de l’arbitre du prêt-à-penser en matière d’art. Dans ses critiques acérées contre l’avant-garde, il est le premier à parler de « fauvisme » et de « cubisme ». Il invente ces mots avec l’objectif de dénigrer et dévaloriser les artistes concernés. Ironiquement, ce sont ces mêmes mots qui ont perduré dans l’histoire et désignent aujourd’hui ces mouvements sans plus aucun mépris.

Le critique d'art devient révélateur d'artistes

Après la Première Guerre mondiale, l’art du XIXème est tout d’un coup perçu comme ennuyeux et pompeux. Les gens veulent de la nouveauté et, en parallèle, la création artistique explose. Les critiques d’art rendent compte de ce tourbillon créatif mais mettent sur le même plan des Petits Maîtres tels que Dufresne ou Dunoyer de Segonzac avec des artistes de stature internationale comme Picasso, Matisse ou Rouault [1].

Pablo Picasso, dessin de Guernica, photo de Dora Maar
Pablo Picasso, dessin de Guernica. Photo de Dora Maar

Ils encensent le Réalisme de peintres comme Boussingault ou Gromaire et n’accordent pas d’importance au surréalisme ou à l’abstraction naissante. Après la Seconde Guerre mondiale, les années 50 sont une véritable douche froide pour les critiques d’art. En effet, l’actualité de la création artistique se transporte de Paris à New York et les critiques d’art français ne sont plus écoutés. D’autant que leurs jugements inégaux de l’entre-deux-guerres se sont révélés pénalisants pour les collectionneurs. Voulant regagner leurs galons et valoriser les artistes en France, les critiques d’art s’efforcent de « créer l’événement ». Dans un contexte où l’abstraction vient bouleverser les repères d’appréciation de l’art, ils s’appuient sur les nouveaux besoins des amateurs d’art. Ceux-ci sont en effet en demande de codes intellectuels pour comprendre les nouvelles évolutions de la peinture.

Le critique d’art se présente alors comme un révélateur d’artistes et de mouvements. C’est ainsi que Pierre Restany intronise le mouvement de l’abstraction lyrique en France. Ayant fait le tour des ateliers, il repère des artistes ayant un style commun et les baptise d’un nom évocateur : l’abstraction lyrique. Il organise des expositions communes et publie la bible de ce nouveau mouvement : son livre Lyrisme et abstraction [2]. Les critiques d’art se sont réinventés en explicitant le paysage de l’art mais ils n’en restent pas là et pratiquent une approche vindicative : ils excommunient les artistes qu’ils n’ont pas élus et exacerbent les querelles entre mouvements artistiques.

Vers la dilution du métier de critique d'art

La fin des années 70 marque une évolution dans l’influence que le critique d’art exerce sur son public. Celui-ci est échaudé par les querelles d’église et les opinions divergentes et mutuellement excluantes des critiques d’art. Le public rejette cet art ultra-intellectualisé et réservé aux seuls initiés. Cette tendance est particulièrement bien exprimée quelques années plus tard dans la pièce "Art" de Yasmina Reza où l’art contemporain est réduit en miettes.

Art de Yasmina Reza

Mais en parallèle, l’amateur d’art redécouvre la liberté de choisir lui-même les œuvres qui lui plaisent sans se laisser impressionner par les prescriptions des critiques. Ce plaisir de se former sa propre opinion trouve à se réaliser à travers les grandes foires internationales. Ces hypermarchés de l’art séduisent par leur côté ludique, gai et jouissif. L’écrit autour de l’art ne se perd pas pour autant mais les journalistes qui couvrent les foires ou les expositions rendent compte de ce qu’ils ont vu de manière plus descriptive, sans jugement de valeur excluant. Les commissaires d’exposition dans les préfaces de catalogue contribuent aussi à objectiver les débats artistiques. Internet a permis par ailleurs à chaque amateur d’art de devenir un critique d’art virtuel et de partager son ressenti à travers articles et blogs.

[1] Georges Turpin, La stratégie artistique 1929, Editions de l’Epi, Paris

[2] Lyrisme et Abstraction, Milan, Ed. Apollinaire, 1960

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