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Keith Haring, s’il avait survécu au virus du sida, aurait eu cinquante-cinq ans cette année. Il est vain d’épiloguer sur ce qu’aurait été sa trajectoire au XXIème siècle : un renouveau jaillissant de l’inspiration artistique ou un enlisement dans la répétition des inventions passées. La seule certitude que nous ayons, est qu’il se savait condamné et que ses ultimes tableaux sont empreints de cette conviction.

La dernière salle de l’exposition Keith Haring, The political line qui a eu lieu en août 2013 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris est particulièrement émouvante à cet égard : elle réunit des œuvres majeures de la dernière année de l’artiste. Il y a là des œuvres testaments, comme ce squelette armé d’une clé qui arrose de sa semence une végétation luxuriante, ou cette paire de ciseaux qui sectionnent un fil de vie. Il y a là des œuvres coup de poing, tel ce gigantesque triangle rose, symbole de l’homosexualité persécutée. Il y a là des œuvres à la tonalité nouvelle, comme ce bouquet de fleurs sectionnées, peintes avec une touche désordonnée qui ne ressemble pas à l’artiste. Et il y a un tableau qui mérite à lui seul de visiter cette superbe et émouvante exposition.

Ce tableau se nomme Peinture inachevée.


 Keith Haring, Peinture inachevée.

 

C’est un des rares tableaux auxquels Keith Haring a donné un titre, car il disait préférer laisser au spectateur la liberté d’être transporté par son œuvre dans les directions les plus diverses. Lorsque l’on passe devant cette œuvre, on est attiré par la toile blanche, pelucheuse, un peu sale, qui recouvre le châssis. À peine un quart de sa surface est peint de motifs argentés et noirs sur fond mauve, et la couleur de ce fond se déverse en coulées sur la toile blanche.

Lorsque ce tableau m’a subjuguée, une conférencière pérorait devant l’œuvre, disant que son seul intérêt était de témoigner de la manière de peindre de l’artiste et de sa façon de procéder sur le plan technique. Or, tout au long de l’exposition, des vidéos montrant Haring en train de peindre prouvaient qu’il procédait tout autrement. Il peignait le motif dans sa totalité, et complétait ensuite l’ensemble, au lieu de réaliser des fragments finis de représentation et de les accoler ensuite.

La conférencière et son troupeau moutonnier partis, je suis restée seule avec l’œuvre. Encore sous le choc de sa perfection, encore étonnée de l’incompréhension qu’elle venait d’affronter. Dans cette toile  Keith Haring avait représenté le drame de sa condamnation. Sa vie aurait pu être aussi parfaite que ce carré aux dimensions si précises (1m x 1M), aussi joyeuse que cette toile blanche. Il sait pourtant qu’il ne remplira jamais qu’une petite partie de cette existence qui lui est si chère. Cette toile est celle de cet adieu à lui-même qu’il  doit accomplir. Le noir et l’argent sur le fond mauve sont les couleurs du deuil de lui-même qu’il se voyait forcé de porter. Les coulures qui s’en échappent sont autant de larmes qu’il verse sur sa disparition forcée. Mais ce cri, ce déchirement, que Keith Haring ressent si intensément, il nous le transmet avec une pudeur si délicate que chacun est libre de le voir, ou de l’ignorer. Le titre donné est une ultime liberté laissée au spectateur. Haring lui donne à  contempler sa mort, son désespoir, mais avec l’élégance suprême de la pudeur, il lui permet aussi de n’y voir qu’une toile quelconque abandonnée sans suite à donner.

Exposition du 19 avril -18 août 2013.
Catherine Duhamel pour Les Atamanes

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