K. Dick Higgins (7-7-73)

Héritier de Dada et de Marcel Duchamp, Fluxus est une nébuleuse d’artistes internationaux qui partagent la même attitude : faire s’entrechoquer le monde, l’art et les nouvelles technologies pour créer un nouveau mode de vivre. Né à la fin des années 50, Fluxus pose les bases des démarches innovantes de l’art contemporain. Pour Fluxus, c’est l’intention qui fait l’art et tous les médias artistiques y contribuent.

FLUXUS ne peut pour autant pas être réduit à un "mouvement", c’est beaucoup plus. FLUXUS est un réseau, une mouvance, un maillage artistique international qui a pour but de créer une émulation artistique, en brouillant les frontières, en élargissant les limites, en mettant en cause le monde concret. Pour FLUXUS, le style n’est pas important ni le sens de ce qui est produit, tout est plutôt dans la manière et dans l’état d’esprit.

Voici quelques principes Fluxus :

  • Si vous aimez savoir que 4 minutes 33 de silence, c’est aussi un morceau de musique, alors vous êtes Fluxus.
  • Si vous pensez que l’Art, c’est de l’humour et de la joie, alors vous êtes Fluxus.
  • Si vous pensez que tout est Art et que chaque homme est un artiste, alors vous êtes Fluxus.
  • Si vous pensez qu’il faut se méfier des mots mais que vous avez quelque chose à dire, alors vous êtes Fluxus.

En perturbant volontairement le spectateur, en prenant systématiquement le contre-pied de ce qui est établi, en combattant les préjugés, l’artiste FLUXUS influe sur la réalité qui l’entoure. À travers cette exposition retrouvez les œuvres de deux icônes américaines de Fluxus : Dick Higgins et Ken Friedman. Chaque œuvre est illustrée par un poème en résonance avec l'univers de l'artiste.

Pour en savoir plus sur Fluxus, venez découvrir avec nous que vous êtes probablement vous-même Fluxus.

Fluxus est inter-media. Toile ou papier accueillent un même manifeste

Pensefable

Le ciel est un songe innocent
Qui meurt des clartés qu’il s’ajoute
Quand le soleil jaunit la route
Dont il est le dernier passant

A force de rire avec elle
L’espoir nous a pris la raison
Dans la nuit qui sort des maisons
Nos étoiles battent des ailes

La terre s’ouvre et sent le pain
Quand la mort des feuilles l’embaume
Le vent ne sait où vont les hommes
Et conte aux ailes de moulins

Que sous des iris d’azur sombre
La mort a caché les yeux noirs
Où chaque larme est le miroir
D’un monde trop lourd pour des ombres

Joë Bousquet (1897-1950), La connaissance du Soir (1945).

Fluxus fouille la société au corps

Quand l’Ombre menaça

Quand l’Ombre menaça de la fatale loi,
Tel vieux Rêve, désir et mal de mes vertèbres,
Affligé de périr sous les plafonds funèbres
Il a ployé son aile indubitable en moi.

Luxe, ô salle d’ébène où, pour séduire un roi
Se tordent dans leur mort des guirlandes célèbres,
Vous n’êtes qu’un orgueil menti par les ténèbres
Aux yeux du solitaire ébloui de sa foi

Oui, je sais qu’au lointain de cette nuit, la Terre
Jette d’un grand éclat l’insolite mystère
Sous les siècles hideux qui l’obscurcissent moins.

L’espace à soi pareil qu’il s’accroisse ou se nie
Roule dans cet ennui des feux vils pour témoins
Que s’est d’un astre en fête allumé le génie.

Stéphane Mallarmé, Poèmes

Fluxus est happening et ready-made

Autour des monts sauvages

Autour des monts sauvages,
Serpents démesurés,
S'enroulent les nuages.

Des dragons égorgés
Saignent le long des roches,
Et l'eau sombre du lac est pesante et glacée.

De la neige et du sang
Parent les cimes nues,
Même la voix du vent
S'est tue.

Et seul, dans le silence
De ce site tragique,
Comme un cri frénétique
Un roc aigu s'élance.

Elsa Koeberlé 1881-1950, (Misurina, 1903)

Fluxus marie peinture et poésie. Un poème est un dessin qui est un poème qui est un dessin

À regarder en écoutant : Jaap Blonk interprétant "glass lass"

Glasslass

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Dick Higgins, 17 juillet 1970

Fluxus dompte le temps

Poète noir

Poète noir, un sein de pucelle
te hante,
poète aigri, la vie bout
et la ville brûle,
et le ciel se résorbe en pluie,
ta plume gratte au chœur de la vie.

Forêt, forêt, des yeux fourmillent
sur les pignons multipliés ;
cheveux d’orage, les poètes
enfourchent des chevaux, des chiens.

Les yeux ragent, les langues tournent
le ciel afflue dans les narines
comme un lait nourricier et bleu ;
je suis suspendu à vos bouches
femmes, cœurs de vinaigre durs.

Antonin Arthaud(1896-1948), L’Ombilic des Limbes

Fluxus créée par hasard. L'art se niche dans la pratique anti-art de l'aléatoire

Détachée

Mes yeux, ne suivez plus la lune langoureuse!
Mes mains, n'égarez point vos caressants loisirs
Dans l'herbe souple et drue ou dans la source heureuse !
Je veux vous détacher, mes yeux, de vos désirs.

De tout ce qui vous plaît mes mains, je vous détache :
Que tiédeur et fraîcheur vous manquent tour à tour!
Et vous qui poursuivez tout ce que l'ombre cache,
Mes yeux, reposez-vous d'avoir vu tout l'amour !

Ne touchez plus la flamme, ô mes mains dévorantes,
Frêles de contenir votre propre chaleur,
Et vous, mes doigts glacés aux frissons des attentes,
Ne plongez plus dans l'air votre geste enjôleur!

Ne cherchez plus une eau pour vous revoir vous-mêmes,
Mes yeux, pleins de vertige et de fatalité,
Car vous portez en vous les horizons extrêmes,
O mes yeux voyageurs, où vous avez été!

Mes bras, ne bercez point les voluptés éteintes
Dont Arous ne pouvez plus ni blêmir ni brûler !
Fermez-vous, mes regards, fermez-vous, mes étreintes,
Car l'espace et l'ardeur n'ont rien à vous donner.

Hélène Vacaresco (La Dormeuse éveillée.)

Fluxus se joue du signe

Signe

Je suis soumis au Chef du Signe de l’Automne
Partant j’aime les fruits je déteste les fleurs
Je regrette chacun des baisers que je donne
Tel un noyer gaulé dit au vent ses douleurs
Mon Automne éternelle ô ma saison mentale
Les mains des amantes d’antan jonchent ton sol
Une épouse me suit c’est mon ombre fatale
Les colombes ce soir prennent leur dernier vol

Guillaume Apollinaire, Alcools

Fluxus est divinement éternel. Le 7 et le 3, chiffres du divin et de l’éternité pour former l’œuvre 7.7.73

Le vélin écrit rit et grimace, livide 

Le vélin écrit rit et grimace, livide. 
Les signes sont dansants et fous. Les uns, flambeaux, 
Pétillent radieux dans une page vide. 
D'autres en rangs pressés, acrobates corbeaux,

Dans la neige épandue ouvrent leur bec avide. 
Le livre est un grand arbre émergé des tombeaux. 
Et ses feuilles, ainsi que d'un sac qui se vide, 
Volent au vent vorace et partent par lambeaux.

Et son tronc est humain comme la mandragore ; 
Ses fruits vivants sont les fèves de Pythagore ; 
Des feuillets verdoyants lui poussent en avril.

Et les prédictions d'or qu'il emmagasine, 
Seul le nécromant peut les lire sans péril, 
La nuit, à la lueur des torches de résine.

Alfred Jarry

Fluxus brouille les limites. Une oeuvre unique se compose de multiples reproductions

L’Éternité

Elle est retrouvée.
Quoi ? - L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.

Âme sentinelle,
Murmurons l’aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.

Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.

Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s’exhale
Sans qu’on dise : enfin.

Là pas d’espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.

Elle est retrouvée.
Quoi ? - L’Éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.

Arthur Rimbaud, Vers nouveaux

Fluxus est gai et joyeux

Le bonheur

Le bonheur, ce n'est point aimer, puisque l'on pleure.
Le bonheur, ce n'est point savoir : on ne sait rien.
Est-ce vivre ? La vie est-elle un si grand bien ?
Est-ce mourir ? La mort n'est-elle pas un leurre ?

Ce n'est point se blesser à nos amours d'une heure,
Ni, sans ailes, tenter l'essor aérien.
Ce n'est pas habiter la terre, et l'on peut bien
Ne pas croire qu'une autre étoile soit meilleure.

— Faible cœur, sais-tu bien, avant de blasphémer,
Ce qu'ouvre le tombeau qui vient de se fermer ;
Et que, tant qu'en nos yeux la lumière demeure,

Le bonheur, c'est marcher libre dans le devoir ;
C'est s'élever sans fin vers l'infini savoir.
Le bonheur, c'est aimer aussi, puisque l'on pleure.
                  
Albert Mérat (1840-1909), Les chimères