Les tableaux d'André Pollier dépeignent un monde imaginaire dans la lignée de Max Ernst, Yves Tanguy et de Chirico. La poésie est le meilleur moyen de traduire la dimension onirique du surréalisme. Par cette sélection de poèmes, nous avons cherché à prolonger les évocations provoquées par les tableaux d’Andrée Pollier.

Mains

Ce ne sont pas des mains d'altesse,
De beau prélat quelque peu saint,
Pourtant une délicatesse
Y laisse son galbe succinct.

Ce ne sont pas des mains d'artiste,
De poète proprement dit,
Mais quelque chose comme triste
En fait comme un groupe en petit ; (...)

Elles sont maigres, longues, grises,
Phalange large, ongle carré.
Tels en ont aux vitraux d'églises
Les saints sous le rinceau doré, (...)

Ce soir elles ont, ces mains sèches,
Sous leurs rares poils hérissés,
Des airs spécialement rêches,
Comme en proie à d'âpres pensers. (...)

J'ai peur à les voir sur la table
Préméditer là, sous mes yeux,
Quelque chose de redoutable,
D'inflexible et de furieux. (...)

Dehors le vent hurle sans trêve,
Le soir descend insidieux...
Ah ! si ce sont des mains de rêve,
Tant mieux, - ou tant pis, - ou tant mieux !

Paul Verlaine (1844 - 1896)

Il passa

Il passa! J'aurais dû sans doute
Ne point paraître en son chemin ;
Mais ma maison est sur sa route ;
Et j'avais des fleurs dans ma main.

Il parla : j'aurais dû peut-être
Ne point m'enivrer de sa voix ;
Mais l'aube emplissait ma fenêtre,
Il faisait avril dans les bois.

Il m'aima : j'aurais dû sans doute
N'avoir pas l'amour aussi prompt ;
Mais, hélas! quand le cœur écoute,
C'est toujours le cœur qui répond.

Il partit : je devrais peut-être
Ne plus l'attendre et le vouloir ;
Mais demain l'avril va paraître,
Et, sans lui, le ciel sera noir.

Hélène Vacaresco (L'Âme sereine.)

L'orgueil

Sous mon feutre royal que la plume empanache
Mon visage est vermeil comme un matin d'été
Et je carre ma force et ma rotondité
Sur le rivage illustre où ma gloire m'attache.

Du vaisseau qu'on équipe au soldat qu'on harnache
Tout redit ma splendeur et ma prospérité
Et mon orgueil vivant porte avec majesté
Le rouge justaucorps que brode la soutache.

Adorez-moi. Je suis magnifique et superbe,
Je règne. Mon talon qui foule le brin d'herbe
Enchaîne la victoire et les rois à mes pas.

C'est un sort fortuné que vivre sous mon astre ;
Un regard de mes yeux est faveur ou désastre,
Et sans moi le soleil ne se lèverait pas.

Henri de Régnier (Flamma tenax).

À la faveur de la nuit

Se glisser dans ton ombre à la faveur de la nuit.
Suivre tes pas, ton ombre à la fenêtre.
Cette ombre à la fenêtre c'est toi, ce n'est pas une autre, c'est toi.
N'ouvre pas cette fenêtre derrière les rideaux de laquelle tu bouges.
Ferme les yeux.
Je voudrais les fermer avec mes lèvres.
Mais la fenêtre s'ouvre et le vent, le vent qui balance bizarrement
la flamme et le drapeau entoure ma fuite de son manteau.
La fenêtre s'ouvre: ce n'est pas toi.
Je le savais bien.

Robert Desnos, (A la Mystérieuse, 1926)

Il n'y a pas eu de printemps

Il n'y a pas eu de printemps cette année, ma chère;
Pas de chants sous les fleurs et pas de fleurs légères,
Ni d'Avril, ni de rires et ni de métamorphoses;
Nous n'aurons pas tressé de guirlandes de roses.

Nous étions penchés à la lueur des lampes
Encore, et sur tous nos bouquins de l'hiver
Quand nous a surpris un soleil de septembre
Rouge et peureux et comme une anémone de mer.

Tu m'as dit : « Tiens, voici l'Automne.
Est-ce que nous avons dormi?
S'il nous faut vivre encore parmi
Ces in-folio, ça va devenir monotone.

Peut-être déjà qu'un printemps
A fui sans que nous l'ayons vu paraître ;
Pour que l'aurore nous parle à temps
Ouvre les rideaux des fenêtres. »

Il pleuvait. Nous avons ranimé les lampes
Que ce soleil rouge avait fait pâlir
Et nous nous sommes replongés dans l'attente
Du clair printemps qui va venir.

André Gide (Les Poésies d'André Walter.)

Allons parmi les fleurs cueillir une guirlande


Allons parmi les fleurs cueillir une guirlande,
Afin d'en couronner la Reine des Beautés ;
Sois Venus, soit Phillis, à qui les Royautés
Vont indifféremment présenter leur offrande.

Les Grâces, et l'Amour, seront de notre bande ;
Les jeux, et les plaisirs suivront de tous côtés :
La saison nous appelle à mille nouveautés ;
Et la rosée est chue, et la moisson est grande.

Mais j'aperçois l'Amour, qui nous est revenu,
Et qui cherche Phillis, qu'il préfère à Venus.
Amour, cruel Amour ! d'où vient que tu nous laisses ?

J'ois dans ta bouche un nom qui fait que je pâlis.
Prends ta route où les fleurs seront les plus épaisses ;
C'est par là que sans doute aura passé Phillis.

Jean Ogier de GOMBAULD (1588 - 1666).