Au XIXème siècle, la bourgeoisie se développe et affirme son goût pour les œuvres d'art. Dans les appartements, coexistent des pièces de réception avec des pièces à vivre.Les pièces de réception aux grandes dimensions sont réservées aux grandes occasions et l'on passe ses journées dans les pièces à vivre de taille plus restreinte. Boudoir, chambre, petit salon sont en effet plus chauds et plus confortables. Les tableaux de petit format s'insèrent parfaitement dans cette intimité. Sur les murs recouverts de tissus et aux fenêtres voilées de tentures, ils constituent des éléments de décoration aussi prisés que précieux.

La mode des petits formats provient aussi de l'évolution de la manière de peindre. Les artistes se rendent de plus en plus souvent en extérieur pour peindre "sur le motif". Ils capturent une ambiance, une atmosphère. Ils utilisent alors une toile de petit format aisément transportable. Avec le développement du tourisme, apparaissent aussi les représentations des lieux visités, que l'on ramène dans ses bagages.

Les tableaux de petit format du XIXème se distinguent par :

  • la finesse des détails, le soin apporté à rendre un univers par petites touches ;
  • de très jolis cadres, le plus souvent dorés, qui magnifient le tableau ;
  • des sujets destinés à apporter de l'agrément, du plaisir aux spectateurs.

Les collectionneurs apprécient ces petits tableaux qu'ils achètent pour leur intérieur, réservant les "grandes machines" aux pièces d'apparat et aux musées.

Saint-Gratien, la chambre de la princesse Mathilde.Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Stéphane Maréchalle

Saint-Gratien, la chambre de la princesse Mathilde.Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Stéphane Maréchalle

Les thèmes abordés, sont extrêmement variés, leur but étant d'inciter à la rêverie et au souvenir, ou d'éveiller l'imagination. Les petits tableaux du XIXème représentent souvent :

  • des paysages : des petits coins de forêt ou de campagne qui amènent la nature au cœur d'un appartement de ville ;
  • des scènes de genre charmantes et vivantes qui stimulent la pensée ;
  • des réductions de grands tableaux qui transcrivent des œuvres connues du passé dans un petit format ;
  • des tableaux préparatoires que l'artiste a peint pour affiner sa vision.

Voici une sélection de ces petits tableaux du XIXème. Pour découvrir chaque tableau plus en détail, n'hésitez pas à cliquer sur leurs images.

La touche de nature qu'apportent les paysages

L’ascension

Où vont-ils ? Leurs bâtons, aux parois du sentier,
Ont fait crier le roc sous le brûlant acier.
Ils montent. Le val fuit ; de nouvelles vallées
Sous le mont qui s’écrase au loin sont dévoilées.
Ils montent. Les sapins de silence et de nuit
Voilent le front désert de ce plateau détruit.
Ils montent ; des rochers la masse ténébreuse
En spirale se tord, en abîme se creuse,
Tout à l’entour du pic où s’impriment leurs pas.
Dans leur fuite, ils ont peine à deviner, là-bas,
Et le chalet qui fume au fond des pâturages,
Et les vallons étroits des verdoyants alpages,
Et l’érable plaintif, et les grands aliziers,
Et ces lits de rochers vêtus de framboisiers.
Le lac aux bords fleuris dans la Joux qui se voile,
Ouvrant sa nuit d’azur où se couche l’étoile,
Réfléchit sous leurs pas les rochers enfumés
Et les neigeux sommets que l’aube a rallumés.

Frédéric Monneron (1813-1837)

Crépuscule rustique

La profondeur du ciel occidental s’est teinte
D’un jaune paille mûre et feuillage rouillé,
Et, tant que la lueur claire n’est pas éteinte,
Le regard qui se lève est tout émerveillé.

Les nuances d’or clair semblent toutes nouvelles.
Le champ céleste ondule et se creuse en sillons,
Comme un chaume, où reluit le safran des javelles
Qu’une brise éparpille, et roule en gerbillons.

Chargé des meules d’ambre, où luit, par intervalle,
Le reflet des rayons amortis du soleil,
Le nuage, d’espace en espace, dévale,
Traîne, s’enfonce, plonge à l’horizon vermeil.

Mais l’ombre, lentement, traverse la campagne,
Et glisse, à vol léger, au fond des plaines d’or.
Septembre, glorieux, derrière la montagne,
A roulé, pour la nuit, le char de Messidor.

Nérée Beauchemin (1850-1931) ,
Patrie intime

Ce doux hiver qui égale ses jours

Ce doux hiver qui égale ses jours
A un printemps, tant il est aimable,
Bien qu'il soit beau, ne m'est pas agréable,
J'en crains la queue, et le succès toujours.

J'ai bien appris que les chaudes amours,
Qui au premier vous servent une table
Pleine de sucre et de mets délectable,
Gardent au fruit leur amer et leurs tours.

Je vois déjà les arbres qui boutonnent
En mille nœuds, et ses beautés m'étonnent,
En une nuit ce printemps est glacé,

Ainsi l'amour qui trop serein s'avance,
Nous rit, nous ouvre une belle apparence,
Est né bien tôt bien tôt effacé.

Théodore Agrippa d'Aubigne

Aux arbres

Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous! – vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit le cœur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’œil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu!
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!

Victor Hugo, Les contemplations 1856

La vivandière de Waterloo

Au temps où des Français partageant les conquêtes,
Le baril sur le dos, un bâton à la main,
Par mes refrains joyeux j'égayais le chemin.
Tous aimaient, tous vantaient la belle vivandière
Et l'Empereur, lui - même, en passant quelquefois,
Sous des nuages de poussière,
Ralentissait sa course et frappait de ses doigts,
Ma joue alors d'orgueil pâle et rouge à la fois.

Louis Tronche
(Poèmes anecdotiques et poésies diverses. 1878)

La grâce des scènes de genre

Le puits de Notre-Dame à Douai

Vieux puits emmantelé de mousse et de gazons,
Flot caché qui lavait le rang de nos maisons,
Centre d’égalité pour tout le voisinage,
Innocent cabaret du vieux et du jeune âge
Par le riche et le pauvre envahi chaques jours
Je te salue, ô toi qui te donnes toujours !

Dieu n’aura pas permis que l’on séchât ta source,
Et les enfants nouveaux y dirigent leur course,
Et les femmes encore y vont entretenir
Leurs bonheurs d’autrefois qui font mon souvenir.

Car au soleil couchant, du fond de leurs familles,
Glissaient au rendez-vous les plus petites filles,
Pareilles aux ramiers que l’on se plaît à voir
S’abattre et s’étaler au bord d’un abreuvoir,(...)

De même, retenant les cris clairs et charmants,
On se reconnaissait par des chuchotements,(...)
Un liseur de légende ayant vu parmi l’ombre
Nos blonds essaims tourner alentour de l’eau sombre,
En eût fait des ondins à demi-réveillés,
Dansant la bouche close et les cheveux mouillés.

Marceline Desbordes-Valmore
(1786-1859)

Ne réservez pas à ma vieillesse un château

... Ne réservez pas à ma vieillesse un château,
mais faites-moi la grâce de me garder,
comme dernier refuge, cette cuisine
avec sa marmite toujours en l'air,
avec la crémaillère aux dents diaboliques,
la lanterne d'écurie et le moulin à café,
le litre de pétrole, la boîte de chicorée extra et les allumettes
de contrebande,
avec la lune en papier jaune qui bouche le trou du tuyau de poêle,
et les coquilles d'œufs dans la cendre,
et les chenets au front luisant, au nez aplati,
et le soufflet qui écarte ses jambes raides et dont le ventre fait
de gros plis,
avec ce chien à droite et ce chat à gauche de la cheminée,
tous deux vivants peut-être,
et le fourneau d'où filent des étoiles de braise,
et la porte au coin rongé par les souris...

Jules Renard

Aux bains de mer

Sur la plage élégante au sable de velours
Que frappent, réguliers et calmes, les flots lourds,
Tels que des vers pompeux aux nobles hémistiches,
Les enfants des baigneurs oisifs, les enfants riches,
Qui viennent des hôtels voisins et des chalets,
La jaquette troussée au-dessus des mollets,
Courent, les pieds dans l’eau, jouant avec la lame.
Le rire dans les yeux et le bonheur dans l’âme,
Sains et superbes sous leurs habits étoffés
Et d’un mignon chapeau de matelot coiffés,
Ces beaux enfants gâtés, ainsi qu’on les appelle,
Creusent gaîment, avec une petite pelle,
Dans le fin sable d’or des canaux et des trous;
Et ce même Océan, qui peut dans son courroux
Broyer sur les récifs les grands steamers de cuivre,
Laisse, indulgent aïeul, son flot docile suivre
Le chemin que lui trace un caprice d’enfant.
Ils sont là, l’œil ravi, les cheveux blonds au vent,

François Coppée, Le Cahier Rouge

Soleil et chair

Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l’amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d’amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu’il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !

Et tout croît, et tout monte !

– Ô Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l’antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d’amour l’écorce des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L’eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d’amour.

29 avril 1870

Arthur Rimbaud, Cahier de Douai

Don Salluste.
Monsieur, on sait de vos histoires.
Don César, gracieusement.
Qui sont de votre goût ?
Don Salluste.
Oui, des plus méritoires.
Don Charles De Mira l'autre nuit fut volé.
On lui prit son épée à fourreau ciselé (...)
Vous en étiez !
Don César.
Eh bien, – oui ! S'il faut que je parle,
J'étais là. Je n'ai pas touché votre don Charle,
J'ai donné seulement des conseils.
Don Salluste.
Mieux encor
La lune étant couchée, hier, Plaza-Mayor,
Toutes sortes de gens, sans coiffe et sans semelle,
Qui hors d'un bouge affreux se ruaient pêle-mêle,
Ont attaqué le guet. – vous en étiez !
Don César.
Cousin,
J'ai toujours dédaigné de battre un argousin.
J'étais là. Rien de plus. Pendant les estocades,
Je marchais en faisant des vers sous les arcades.
On s'est fort assommé.

Victor Hugo.
Ruy Blas (1838)

Erato

Muse, il est bon pour toi de vivre sur les cimes,
De sentir sur ton sein la caresse des airs,
De franchir l’âpre horreur des torrents sans rivages,
Et, quand les vents affreux pleurent dans les déserts,
De livrer ta poitrine à leurs bouches sauvages.
Le flot aigu, le mont qu’endort l’éternité,
La forêt qui grandit selon les saintes règles
Vers l’azur, et la neige et les chemins des aigles
Conviennent, ô Déesse, à ta virginité.
Car rien ne doit ternir ta pureté première
Et souiller par un long baiser matériel
Ta belle chair, pétrie avec de la lumière.
Ton véritable amant, chaste fille du ciel,
Est celui qui, malgré ta voix qui le rassure
Et ton regard penché sur lui, n’oserait pas
D’une lèvre timide effleurer ta chaussure
Et baiser seulement la trace de tes pas.

Théodore de Banville (1823-1891)
Les Cariatides (1842)

Variations intimistes sur de grands tableaux des siècles passés

Mais des fruits — des fruits, Nathanaël, que dirai-je?

Oh! que tu ne les aies pas connus,
Nathanaël, c'est bien là ce qui me désespère.
Leur pulpe était délicate et juteuse,
Savoureuse comme la chair qui saigne,
Rouge comme le sang qui sort d'une blessure.

Ceux-ci ne réclamaient, Nathanaël, aucune soif particulière,
On les servait dans des corbeilles d'or;
Leur goût écœurait tout d'abord, étant d'une fadeur incomparable ;
(...)Et la chair en semblait passée ;
Elle laissait après l'âpreté dans la bouche ;

On ne la guérissait qu'en remangeant un fruit nouveau ;
A peine bientôt si seulement durait leur jouissance
L'instant d'en savourer le suc ;
Et cet instant en paraissait tant plus aimable
Que la fadeur après devenait plus nauséabonde.

La corbeille fut vite vidée
Et le dernier nous le laissâmes
Plutôt que de le partager.
Hélas! après, Nathanaël, qui dira de nos lèvres
Quelle fut l'amère brûlure?
Aucune eau ne les put laver.

Le désir de ces fruits nous tourmenta jusque dans l'âme.
Trois jours durant, dans les marchés, nous les cherchâmes;
La saison en était finie.
Où sont, Nathanaël, dans nos voyages
De nouveaux fruits pour nous donner d'autres désirs?

André Gide (Les Nourritures terrestres.)

Le repas préparé

Ma fille, laisse là ton aiguille et ta laine ;
Le maître va rentrer ; sur la table de chêne
Avec la nappe neuve aux plis étincelants
Mets la faïence claire et les verres brillants.
Dans la coupe arrondie à l'anse en col de cygne
Pose les fruits choisis sur des feuilles de vigne :
Les pêches que recouvre un velours vierge encor,
Et les lourds raisins bleus mêlés aux raisins d'or.
Que le pain bien coupé remplisse les corbeilles,
Et puis ferme la porte et chasse les abeilles.
Dehors le soleil brûle, et la muraille cuit.
Rapprochons les volets, faisons presque la nuit,
Afin qu'ainsi la salle, aux ténèbres plongée,
S'embaume toute aux fruits dont la table est chargée.
Maintenant, va puiser l'eau fraîche dans la cour ;
Et veille que surtout la cruche, à ton retour,
Garde longtemps, glacée et lentement fondue,
Une vapeur légère à ses flancs suspendue.

Albert Samain (1858-1900).
Aux flancs du vase (1898).

Les études et tableaux préparatoires

Tape le linge dans l’eau claire.
Tes bras qui ont des fossettes
sont beaux. — Tes jambes tu les serres.

Tu es la laveuse. Tu jettes
Dans l’eau le linge dur et sale
des paysans aux douces têtes.

Et puis ensuite tu l’étales
à des ficelles dans les cours
qui sont près de l’obscure étable.

Les dimanches et les grands jours,
il y a des chemises blanches
pour tes frères qui font l’amour.

Tu danses sous les grandes branches,
sur la place publique, au village,
et on a envie de tes hanches.

Pendant ce temps les garçons sages
au tir font péter des capsules
et à la loterie ils gagnent.

… Tu as l’air ainsi d’être heureuse.
Mais demain tape dans l’eau claire
le linge qui fait — plac — laveuse

— en écoutant l’eau sur les pierres.

Francis JAMMES
Recueil : "De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir". 1889.

L'automne

Ô Saison bienfaisante, aimable et douce Automne,
Toi que le Soleil voit d'un regard tempéré ;
Toi qui par les présents, que ta faveur nous donne,
Fais arriver un bien, qu'on a tant espéré.

Ce riche amas de fruits, dont ton front se couronne,
Rend par tous nos Hameaux, ton Autel révéré ;
L'Abondance te suit ; le Plaisir t'environne ;
Mais un plaisir tranquille, aussi bien qu'assuré.

Bacchus te suit partout ; et Cérès t'accompagne ;
Les Côteaux élevés, et la vaste Campagne,
Leurs raisins et leurs blés, te montrent tour à tour :

Chacun dans l'Univers, a le fruit de ses peines ;
Moi seul, hélas moi seul, abusé par l'Amour,
N'ai qu'un espoir trompeur, et des promesses vaines.

Georges de SCUDÉRY
1601 - 1667

Le cri du cœur

Rondement, Mathurin
Mène dans sa carriole
La Dame qui s’affole
De filer d’un tel train.

Elle crie au trépas !
Le vieux dit : "Not’ maîtresse,
N’soyez point en détresse
Puisque moi j’y suis pas.

Si y’avait du danger
Vous m’verriez m’affliger
Tout comm’ vous, encor pire !

Pac’que, j’m'en vas vous dire :
J’tiens à vos jours, mais j’tiens
P’tèt’ encor plus aux miens. "

Maurice ROLLINAT (1846-1903)
Recueil : "Paysages et paysans"

Les champs et la mer

La rivière s’écoule avec lenteur. Ses eaux
Murmurent, près du bord, aux souches des vieux aulnes
Qui se teignent de sang ; de hauts peupliers jaunes
Sèment leurs feuilles d’or parmi les blonds roseaux.

Le vent léger, qui croise en mobiles réseaux
Ses rides d’argent clair, laisse de sombres zones
Où les arbres, plongeant leurs dômes et leurs cônes,
Tremblent, comme agités par des milliers d’oiseaux.

Par instants se répète un cri grêle de grive,
Et, lancé brusquement des herbes de la rive,
Étincelle un joyau dans l’air limpide et bleu ;

Un chant aigu prolonge une note stridente ;
C’est le martin-pêcheur qui fuit d’une aile ardente
Dans un furtif rayon d’émeraude et de feu.

Jules Breton, Courrières, 1875

Chapelle ruinée
(...)

Je refoule, parmi viornes, vipérines,
Rêveur, le sol d'antan où gîte le hibou ;
L'Érable sous le vent se tord comme un bambou.
Et je sens se briser mon cœur dans ma poitrine.

Cloches des âges morts sonnant à timbres noirs
Et les tristesses d'or, les mornes désespoirs,
Portés par un parfum que le rêve rappelle,

Ah ! comme, les genoux figés au vieux portail,
Je pleure ces débris de petite chapelle...
Au mur croulant, fleuri d'un reste de vitrail !

Emile NELLIGAN
1879 - 1941

 À un lilas

Je vois fleurir, assis à ma fenêtre,
L'humble lilas de mon petit jardin,
Et son subtil arôme qui pénètre
Vient jusqu'à moi dans le vent du matin.

Mais je suis plein d'une colère injuste,
Car ma maîtresse a cessé de m'aimer,
Et je reproche à l'innocent arbuste
D'épanouir ses fleurs et d'embaumer.

Tout enivré de soleil et de brise,
Ce favori radieux du printemps,
Pourquoi fait-il à mon cœur qui se brise
Monter ainsi ses parfums insultants ?(...)

– Mais non, j'ai tort, car j'aime ma souffrance.
A nos amours jadis tu te mêlas ;
Au jardin vert, couleur de l'espérance,
Fleuris longtemps, frêle et charmant lilas !

Les doux matins qu'embaume ton haleine,
Les clairs matins du printemps sont si courts !
Laisse-moi croire, encore une semaine,
Qu'on ne m'a pas délaissé pour toujours.

François Coppée (1842-1908)