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Il y a des tableaux comme cela, qui s'imposent à vous. C'est ce qui est arrivé avec cette huile sur toile représentant un paysage typique de la Première Ecole de Paris, La maison sous les arbres. Ce tableau a été réalisé par Elemer Vagh-Weinmann, un artiste hongrois venu peindre en France. C'est ce genre de tableau qui vous fait signe et vous interpelle lorsque l'on passe devant lui :
- Eh là, toi là-bas, tu es passée sans me voir. Mais je suis là pour toi. Même si tu ne le sais pas encore, tu n'attends que moi.
Voilà ce que ce tableau est venu me dire à l'oreille et je suis repartie avec lui. J'ai alors commencé à faire plus ample connaissance avec ce tableau plein de force. C'est une de ces œuvres qu'il faut prendre le temps de regarder. 
- Oui, m'a dit le tableau, je suis sombre, presque noir même. Regarde comme je peux être lumineux si tu te laisses emporter par ma touche de rouge. Et regarde l'éclat de blanc qui vient enrichir mon paysage.
Le tableau s'est mis à danser dans mes mains.
- Regarde aussi : je suis presque une sculpture. Mon créateur a accumulé tant de matière picturale sur ma toile que mes reliefs prennent vie.
Après ces intenses découvertes, j'ai posé le tableau dans un coin. Le lendemain, il boudait et me tournait le dos.

-Tu m'as oublié. Il faut me donner un cadre. J'ai besoin d'être admiré, de faire miroiter toutes mes ombres. Je veux exister.

Quelle exigence! Mais il a raison. J'ai l'ai regardé soigneusement pour imaginer le cadre qui lui irait le mieux. Mais il ne m'a pas laissé le temps de réfléchir.

- Essayons du blanc, m'a-t-il dit. Quelque chose de bien moderne, pour contraster avec mon style expressionniste.
- Tu crois, ai-je fait, dubitative?
- Du blanc, du blanc, du blanc!

J'ai cédé, me disant que le blanc allait mettre le en valeur.

Nous nous sommes entreregardés, le tableau et moi, au vu du résultat. Tout ce blanc, c'était impressionnant.

- Je me demande si ça n'éteint un peu mes couleurs....Je me sens un peu chamboulé comme cela, fit le tableau.

Puis il a suggéré.
- Je sais : tu repeins tout ton appartement en vert foncé, et là, je vais paraître tout à fait à mon avantage.

C'est vrai, sur un fond sombre, cette boite américaine blanche aurait été du plus bel effet. Mais le tableau a repris :
- Le problème c'est que cela va prendre un mois, sinon deux de peindre tes murs. Je veux que l'on me contemple tout de suite.

C'est alors que j'ai eu une inspiration.
- Je crois que j'ai trouvé la solution. Et si on essayait du noir ? Le noir, c'est moderne,

- Ah oui : comme la petite robe noir de Guerlain ! C'est certain que cela m'irait bien. Une caisse américaine mais noire. La sobriété est la valeur absolue. Que je vais être beau !

Je me recule pour l'admirer.

- Voila l'écrin qu'il te faut. Dans un appartement moderne, cela apportera une touche chic. C'est le minimalisme dans tout son raffinement.

Mais je voyais bien, à la mine du tableau, que quelque chose n'allait pas.

- Minimalisme, minimalisme, c'est bien beau tout cela. Mais je suis une oeuvre d'art, une grande oeuvre d'art. Je veux attirer tous les regards. Je veux briller tout de suite!
- Briller? Mais tu es un tableau, pas un arbre de Noël avec des guirlandes dorées, fis-je, un peu agacée.
- Mais c'est cela ! Tu as trouvé. De l'or ! J'ai besoin d'or. Je veux me sentir riche.

Pour satisfaire ce désir j'ai donc trouvé un cadre créé à l'époque du tableau, avec une moulure sobre. J'ai volontairement évité un cadre trop sculpté qui aurait contrasté avec l'esprit de l'oeuvre.

- Ah voila qui me va à merveille, fit le tableau. Je me sens si bien, je rayonne, je suis enfin moi-même.

C'était vrai, ce cadre mettait parfaitement ses teintes en valeur. C'était puissant, parfaitement en harmonie avec l'inspiration du peintre.

- Dis, finit par dire le tableau, je me sens très à mon avantage mais j'ai comme un petit problème. Mon peintre était un pur produit de Montmartre. Son âme était acquise à la bohème. Avec mes beaux atours, j'ai un peu l'impression d'être en décalage.
- Mais non, il serait très fier de toi, si il t'a peint c'est pour que tu déploie toutes tes possibilités, que tu fasse honneur à son inspiration.
- Oui mais tu sais, je me sens inconfortable...

Mais bien sûr! Je lui ai alors cherché un cadre Montparnasse typique de son style.

Quand il s'est vu avec, le tableau a sauté de joie.
- Enfin me voila moi-même !

Nous avons regardé les boites américaines blanches et noires et le cadre doré qui jonchaient le plancher de l'atelier d'encadrement. Son vernis tout brillant de joie, le tableau m'a demandé :

- Dis, est-ce que je peux les garder, tous ces cadres ? Ils mettent si bien en valeur les différents aspects de ma beauté. Et si quelqu'un voulait m'acheter, il faudrait qu'il puisse choisir le cadre qu'il préfère. Dis, tu es d'accord?

Bien sur, je suis d'accord. Et certaines nuits je vois en rêve le tableau d'Elemer Vagh-Waghmann qui essaye tour à tour ses différents cadres.

- Et vous, quel cadre choisiriez-vous pour moi ? semble-t-il penser.

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