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Abstraction et résonance

En regardant une œuvre abstraite, plusieurs questions nous viennent. Les émotions éprouvées en la regardant sont-elles celles de l’artiste lorsqu'il a créé l'œuvre ou les nôtres ? L’artiste veut-il nous transmettre ses propres sentiments ? Pas forcément, nombreux sont les peintres abstraits qui affirment que nous pouvons trouver dans leurs tableaux ce que nous souhaitons, les sentiments étant trop personnels pour être imposés : un tableau abstrait est un espace de liberté, pour vous y promener sans directive.

Bien sûr, de la part de l’artiste, lors de la création, il y a une intention, un souhait, voire un message mais la réception de l'œuvre par le spectateur est personnelle. Pour mieux comprendre, on peut faire un parallèle avec un exemple figuratif : si contempler un coucher de soleil est généralement ressenti comme beau par tous, les sentiments qu’il anime en nous sont personnels : nostalgie, espoir, plénitude, inquiétude.

Le tableau abstrait que vous contemplez vous appartient seul, à ce moment ; il se crée entre lui et vous une relation méditative personnelle et privilégiée.

Les quatre déclinaisons de l’abstraction

Parmi les multiples façons de peindre, dans ce domaine, se distinguent : l’abstraction géométrique, lyrique, l'Op'Art et l'art cinétique et plus tard l’art minimaliste. Ces courants ne représentent pas toute la création abstraite mais sont historiquement omniprésents.

L’abstraction géométrique

Comme son nom l'indique, elle utilise uniquement des formes géométriques à l'intérieur des tableaux. Comme l’architecture, elle repose sur une organisation de l’espace, soit par des lois de construction mathématiques édictées par les artistes, soit par une recherche de spiritualité qui peut aller jusqu’au dépouillement complet, comme l’a fait Malévitch en 1910 en peignant un carré noir sur fond blanc.


Grey Pictures 1935, de Paule Vezelay

Ce sont des approches formelles, des expériences artistiques qui ont été poussées très loin. Certains artistes, convaincus de détenir seuls la vérité, pouvaient par exemple décréter qu'introduire une ligne courbe dans un tableau était un sacrilège.


Carrés noirs, de Théo von Doesburg

De telles œuvres peuvent susciter des réactions très diverses : engendrer un sentiment de calme, d’aboutissement, d’accord avec soi, ou au contraire l'anéantissement et le vide. L’abstraction géométrique se décline en plusieurs courants comme "l’art construit" ou "l’art concret" auquel un célèbre Espace de l'art concret est dédié.

Voici quelques exemples d'artistes : Malevitch et Mondrian pour les fondateurs, puis en Europe : Helion, Herbin, Gottfried Honegger, Nemours, Morellet, Venet... , ainsi que tous ceux du groupe Madi (l’image montre Arden-Quin, un des fondateurs) ; aux USA : Sol Le Witt, Barnet Newman, Donald Judd, Ellsworth Kelly, Frank Stella.

L’abstraction lyrique

À l’opposé de l'abstraction géométrique, se trouve l’abstraction lyrique, dite aussi souvent abstraction gestuelle. Sa conception ne repose sur aucune loi. L'artiste laisse son inspiration guider son pinceau dans la liberté la plus absolue, il n'y a pas de processus ou de recherche intellectuelle qui intervient pour orienter sa création.

L’état d’âme de l’artiste, son caractère, le parcours de sa vie, les événements sociaux et politiques qui l’entourent se retrouvent dans son expression artistique. Il s’agit probablement de la plus profonde, la plus belle avancée de la peinture contemporaine, elle a débouché sur quantité de variantes comme la peinture gestuelle (Pollock, Mathieu...), ou l’art informel (Fautrier, Hartung...).


Univers, de Pierre François Gorse

Voici quelques exemples d'artistes : Kandinsky comme fondateur ; mouvement refondé un demi-siècle plus tard, d'abord en Europe : Bram Van Velde, de Staël, Mannessier, Bazaine, Lanskoy, da Silva, Fautrier, Fontana, Bissière, Atlan, Michaux, Hartung, Messagier, Hantaï, Zao Wou-Ki, Soulages, Debré...puis quasi simultanément aux USA: Kline, de Kooning, Motherwell, Rothko, Sam Francis, Joan Mitchell, Ehrenhalt ...


Amaranth Ehrenhalt, Aderet 1990 (courtoisie Ehrenhalt)

L'Op art et l'art cinétique

Après avoir exploré la forme avec l'abstraction géométrique puis le geste avec l'abstraction lyrique, les peintres abstraits cherchent une nouvelle façon d'enrichir leur processus créatif. Ce renouveau s'exprime à travers la recherche d'une impression visuelle d'espace et de troisième dimension. Apparaissent alors l’art optique (Op art) et l’art cinétique qui résultent d’une combinaison de couleur et/ou de formes arrangées dans l’espace du tableau pour produire une impression de 3D.


Œuvre de Vasarely devant l'église Pálosok (Pálosok templom), rue János Hunyadi (Hunyadi János utca), à Pécs, en Hongrie.

Puis la recherche des artistes abstraits se déplace vers la notion d'illusion du mouvement, c'est l'art cinétique. Il s'applique d'abord en utilisant des techniques d'impression visuelle sur une toile en 2D puis s'ouvre sur la sculpture en cherchant à réincorporer le mouvement dans l'œuvre sculptée (mobiles et moteurs).

Voici quelques exemples d'artistes : Vasarely parmi les fondateurs, et Yacoov Agam, François Morellet, Julio Le Parc, Calder, Tinguely

L’art minimaliste et l'arte povera

Dans un mouvement de balancier, suite à la recherche expansive de l'illusion optique et du mouvement, les artistes abstraits vont s'adonner à une forme d'ascèse. C'est l'apparition de l'art minimaliste, au début des années 60, avec Enrico Castellani, Lucio Fontana, Piero Manzoni, Frank Stella, Donald Judd, Carl Andre, Buren, Toroni etc...

L’art minimaliste est une démarche intellectuelle et formelle voulant simplifier le plus possible l’expression plastique, aussi bien en peinture qu’en sculpture ou architecture ; ces genres proches se développèrent en parallèle de - et en réaction à - l’envahissement de l’exubérante pop de ces années.


Donald Judd, Stack, 1990, 10 éléments, aluminium rouge, plexiglas
(courtoisie Musée d’Art Moderne de Saint-Etienne)

Ces Piles de Donald Judd sont d’autant plus connues qu’elles ont été produites entre 1960 et 1990 avec des variantes en nombre et couleurs, mais la règle est toujours la même : 23 x 101,5 x 79 cm, espaces de 23cm identiques aux "boîtes" ; celle-ci est en collection au fameux Musée d’Art Moderne de Saint-Etienne

L'arte povera rejoindra le minimalisme dans la recherche de la plus grande sobriété, de la plus grande économie de moyen.

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