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Un talent prématurément éclos

Beardsley naît à Brighton, Sussex, le 21 août 1872, dans une famille en déclin financier après la perte de la fortune paternelle. Dès son plus jeune âge, il souffre de tuberculose, maladie qui hantera sa courte existence. Son père, Vincent Beardsley, a hérité d'une fortune conséquente, mais sa gestion inconséquente a entraîné sa famille dans une vie marquée par l’instabilité financière. La famille déménage fréquemment, et finit par s'installer à Londres en 1883. 
Les talents artistiques d'Aubrey se manifestent très tôt, d’abord dans le domaine musical. Sa sœur Mabel et lui se produisent en concert en tant qu’enfants prodiges. Mais Aubrey Beardsley choisit finalement de se consacrer au dessin et à l’écriture. Son orientation artistique est déterminée par l’influence de l’enseignement de la Brighton, Hove, and Sussex Grammar School, où il publie pour la première fois ses dessins et ses écrits dans le magazine de l'école, Past and Present.

Après avoir travaillé brièvement dans une compagnie d'assurances, il décide en 1891, sous l'influence de Sir Edward Burne-Jones et de Pierre Puvis de Chavannes, de vivre de son art. En 1892, il commence des études à la Westminster School of Art sous la direction de Fred Brown, un enseignant influent auprès des artistes britanniques de l'avant-garde.

Les premières oeuvres et l’influence parisienne

En 1892, Beardsley se rend à Paris, où il est profondément marqué par les affiches de Toulouse-Lautrec et la mode des estampes japonaises. Son premier grand projet est l’illustration de La Mort d’Arthur de Thomas Malory, pour l’éditeur J.M. Dent. Ces illustrations, terminées en 1893, témoignent de l’originalité de son style, par leur mélange d’élégance linéaire et d’exubérance. Beardsley y travaille le trait de manière innovante et complexe, avec des zones audacieuses de noir et de blanc. Ces illustrations s'inspirent de diverses influences, des gravures sur bois japonaises à l'art médiéval et de la Renaissance. La qualité de ses œuvres, réalisées en quelques mois de productivité intense, suscite l’admiration mais aussi le rejet, en raison de leur caractère  transgressif.

Le succès et la provocation : The Yellow Book 

En 1894 Beardsley co-fonde The Yellow Book (Le livre jaune) avec l’écrivain américain Henry Harland. Cette revue s'aligne sur les principes esthétiques radicaux défendus entre autres par Oscar Wilde et devient un symbole de l’esthétisme et de la décadence. Beardsley y travaille comme directeur artistique et y produit des couvertures et illustrations qui défient les conventions victoriennes. Son association avec Oscar Wilde et son cercle le rend rapidement célèbre, mais aussi sujet à scandale. En 1895, son lien avec Wilde, qui est arrêté pour « grossière indécence », lui coûte sa position à The Yellow Book.

Le Rape of the lock et l'influence du rococo du XVIIIe siècle

En 1896, Beardsley illustre The rape of the lock (La mêche de cheveux ravie) d'Alexander Pope, un poème satirique qui utilise la structure de l'épopée classique pour banaliser un incident entre amants. Les illustrations de Beardsley pour The rape of the lock comptent parmi ses œuvres les plus raffinées. Beardsley reprend le style rococo de manière très personnelle, en utilisant un travail au trait recherché et des textures délicates qui mettent en valeur l'élégance de la satire de Pope.
Ses dessins, dont The Toilet et The Rape of the Lock, témoignent de sa maîtrise des détails et des formes. Le rendu minutieux des motifs ressemble à un travail d'aiguille ou à une broderie, et l’œuvre témoigne d’une exquise qualité ornementale qui impressionne même ses détracteurs. James McNeill Whistler, qui avait d'abord critiqué Beardsley,  fait l'éloge de ces illustrations après les avoir vues de ses propres yeux, qualifiant Beardsley de « très grand artiste ».

Œuvres ultérieures et The Savoy

En 1896, Beardsley cofonde The Savoy, un magazine destiné à succéder à The Yellow Book, mais avec une position éditoriale plus audacieuse. Dans The Savoy , Beardsley ne se contente pas de publier des illustrations, il présente également ses écrits, dont Under the Hill, une relecture sexuellement chargée de la légende de Tannhäuser. Son travail pour The Savoy continue d'explorer les thèmes de la décadence et de la transgression. Son art, empreint d’une esthétique noire et souvent érotique, atteint une profondeur et une subtilité qui fascinent et dérangent.
Les dernières œuvres de Beardsley deviennent de plus en plus explicites, incorporant des formes exagérées et une imagerie érotique qui repousse les limites des normes victoriennes. Ses illustrations pour Lysistrata, une pièce paillarde de l'Antiquité grecque écrite par Aristophane, contiennent des références sexuelles manifestes qui renforcent sa notoriété et remettent en question les sensibilités pudibondes du public. Ces images explorent des sujets tabous, et transgressent les normes sociétales en matière de sexualité et de moralité.

Style artistique et thèmes

Le style de Beardsley se distingue par ses contrastes marqués et ses motifs complexes.  Ses dessins sont entièrement composés à l'encre noire sur papier blanc. Ce style lui permet de mettre en valeur des éléments grotesques, érotiques et mythologiques avec une clarté et une finesse remarquables. Ses œuvres combinent souvent le fantastique et le macabre, reflétant un engagement pour les thèmes de la décadence, de la mort et de la sexualité. Les influences de Beardsley étaient éclectiques, englobant les estampes japonaises ukiyo-e, l'esthétique rococo française et les mouvements symbolistes et décadents.
Les illustrations de Beardsley pour Salomé de Wilde (1894) restent parmi ses œuvres les plus célèbres et les plus controversées. Pleines de sous-entendus érotiques et grotesques, ces images véhiculent une sensualité radicale qui fait écho à la réputation scandaleuse de Wilde. Les scènes bibliques sont entrelacées de figures érotiques et androgynes et scandalisent la société victorienne. Elles consolident la réputation de Beardsley en tant qu'artiste prêt à repousser les limites de la décence et du goût

Rétractation

À la fin des années 1890, la santé de Beardsley s'est détériorée en raison de la tuberculose qui le ronge depuis l'enfance. Il se convertit au catholicisme en mars 1897 et, dans une lettre écrite peu avant sa mort, il implore son éditeur de détruire ses œuvres les plus obscènes. Malgré sa demande, ses œuvres ont continué à circuler, entretenant sa réputation controversée même à titre posthume. Beardsley meurt à Menton, en France, le 16 mars 1898, à l'âge de 25 ans.

Influence et renouveau

L'impact de l'art de Beardsley s'est étendu bien au-delà de sa vie. Le mélange d'élégance et de perversité de Beardsley, ainsi que son utilisation révolutionnaire de l'imagerie en noir et blanc, ont eu un impact profond sur l'évolution de la conception graphique et de l'illustration. Ses œuvres ont inspiré des artistes tels que Harry Clarke, qui a adopté l'esthétique monochrome de Beardsley. Les affiches et les illustrations commerciales du début du XXe siècle sont aussi des héritières de son style. Au XXeme siècle, c’est la bande dessinée qui s’empare de son héritage, avec des auteurs comme Tardi.
L'intérêt pour l'œuvre de Beardsley est marqué par la rétrospective majeure organisée au Victoria and Albert Museum en 1966. En France, la première rétrospective française a eu lieu au Musée d'Orsay à Paris du 13 octobre 2020 au 10 janvier 2021. Elle présente son travail comme un exemple de radicalisme esthétique, mais aussi comme un commentaire critique de la société victorienne en matière de sexualité et de fascination pour la mort .

L'héritage de Beardsley persiste aujourd'hui. Ses illustrations, chefs-d'œuvre de lignes et de contrastes, la  capacité de Beardsley à mêler l'élégance et le grotesque continuent de captiver et de provoquer. L’artiste qui a osé braver les conventions de son époque laisse derrière lui une œuvre qui défie le temps, aussi transgressive qu’elle nous semble belle.