Notre exposition virtuelle s’articule autour de quatre axes essentiels dans la démarche de l'artiste.

I. Dans Le temps suspendu, Berdal saisit l’instant fragile où tout peut basculer : une poire qui tombe, un citron tranché, une partition figée dans le silence. L'artiste arrête l’instant juste avant qu’il ne se défasse.

II. Le poids du temps plonge dans la densité de la nuit et de la matière : obscurité, grappes lourdes, musique déjà éteinte. Ces toiles seraient méditation sur ce qui nous échappe, si la présence du thé et du café n'y réintroduisait une énergie, comme une braise couvant sous l’ombre.

III. Avec Présence et absence, l’artiste explore la frontière entre ce qui demeure et ce qui s’efface : chaises vides, verres transparents, instruments muets. Berdal peint autant la substance que le manque, rappelant que le vide est aussi structurant que la matière. 

IV. Enfin, dans La couleur transfigurée, la palette chromatique devient langage. Le rouge est le sang de la vie, le bleu évoque mémoire et pensée, le jaune irradie comme une lumière sacrée. La couleur de Berdal élève les objets et les choses à une dimension de symboles.

En arrêtant les gestes du quotidien et en les transfigurant, Berdal nous rappelle que chaque instant, aussi fragile soit-il, peut devenir une image d’éternité.

I. Le temps suspendu

Pour Alex Berdal, l'acte de peindre suspend la course du temps. Mais il ne la fige pas dans une immobilité factice. Ses oeuvres saisissent l’instant au bord du basculement. Fruits prêts à tomber, couteaux en attente, partitions muettes : chaque tableau s'empare d’un geste interrompu.

Berdal transforme ainsi le quotidien en méditation sur l’instant. Les objets les plus simples deviennent autant de métaphores de l’existence.

On ne sait si le fruit va rouler, si la lame va frapper, si la musique va jaillir ou s’éteindre. Berdal ne livre pas de réponse : il arrête le temps juste avant qu’il ne se défasse. Tout est encore possible – chute ou élévation, perte ou renaissance.

Le panier aux œufs

Le panier posé sur la table semble immobile, et pourtant tout y vacille. Trois œufs ont roulé hors de l’osier, une pomme s’est échappée à l’arrière : rien n’est stable. Chaque élément revêt une portée symbolique. Les pommes fruits du savoir et de la maturité sont au nombre de cinq, le chiffre de l'Homme (comme représenté par Léonard de Vinci dans l’Homme de Vitruve). Les trois œufs, symboles de résurrection, sont la promesse du futur. Ensemble, ils forment l’humanité inscrite dans le cycle du temps. Le panier n’est pas un simple récipient, mais le temps lui-même, qui contient, protège et menace tout à la fois.

La coupe blanche (Poires)

Dans cette composition, l’instant s'arrête au moment où le fruit qui s'échappe de la coupe. Est-il repoussé par la masse hostile des poires, ou s’envole-t-il vers une libération ? 

Berdal arrête le mouvement au point où l’ambiguïté reste entière. À cette interrogation s’ajoute celle de la présence du couteau, posé bien en vue. La lame attend, menaçante. Le verre à thé avec sa cuillère torsadée est vide. L’énergie de la vie s’est retirée, laissant le spectateur devant une scène où le destin de chaque objet peut se lire de manière opposé. Tout se joue entre le fruit en suspens, la lame immobile et le récipient vide. Chute ou envol ? Couteau neutre ou hostile? Verre déjà bu ou attendant le thé revigorant? 

Les poires

Un simple plan rouge, quelques fruits dispersés et pourtant, la scène vibre d’incertitude. Berdal peint les poires sans ombre ni ancrage. Sont-elles posées ou en train de tomber ? La surface rouge est-elle une table horizontale ou un mur vertical ? 

Tout semble glisser, hésiter, basculer.  Berdal nous dit que le réel n’est plus une certitude, mais un état transitoire. Les poires deviennent les figures de notre propre condition : existences fragiles, soumises au basculement, retenues par la peinture dans un état d’entre-deux.

Le demi-citron

Un demi-citron est posé sur une table. La pulpe rayonne d’une énergie intérieure.  Le fruit est offert à l’air, voué à se dessécher, promis à sa disparition. 

Le peintre a choisi l’instant le plus dramatique : celui qui suit immédiatement la coupe. La chair brille encore de vie, mais sa fint est déjà inscrite.  Ce tableau condense toute l’ambition de Berdal : donner au quotidien une force symbolique universelle. Le demi-citron n’est plus un fruit, mais une métaphore de la condition humaine. Éclatante dans sa lumière, mais aussi fragile et mortelle dès l’instant de sa révélation.

La Partition

Après les fruits, voici la musique, suspendue dans l’instant. La partition est posée, les instruments muets, les couleurs vibrent sans produire de son. 

Les lignes de la portée se transforment en ondes visuelles, les couleurs en battements silencieux. Tout est là, prêt à résonner, mais tout reste contenu. Ici, la suspension n’est plus menace mais promesse. La musique est arrêtée, mais elle peut reprendre à tout moment. L’instant garde la possibilité d’une relance, d’un souffle nouveau. Berdal nous ouvre la voie : le temps suspendu peut être attente féconde.

II. Le poids du temps

Si la peinture peut suspendre l’instant, elle ne peut abolir le passage du temps. Dans les œuvres ci-dessous, Alex Berdal explore non plus l’arrêt fragile, mais le poids qui s’accumule. Le temps est ici lourd, obscur, opaque.

Obscurité nocturne, grappes compactes, masses sombres : tout dans ces toiles traduit la gravité de l’existence. Pourtant, une énergie demeure, comme une braise sous la cendre.

Cette section montre le versant sombre de Berdal : la densité qui alourdit, l’ombre qui envahit. Ce sont des œuvres méditatives, où l’artiste affronte ce que le temps a d’inéluctable.

Nocturne

Dans Nocturne, la table disparaît dans la nuit, ne laissant émerger que quelques objets disjoints : un pichet, un fruit, un verre. Le noir envahit l’espace, il engloutit les formes. La touche est sobre, resserrée, presque austère. Les objets sont moins décrits qu’évoqués : silhouettes de mémoire, ombres flottantes. 

Pourtant, une lumière subsiste comme si la matière picturale cherchait à résister à l’effacement. C’est un tableau d’intériorité. La nuit y devient miroir du temps qui se retire. Rien de spectaculaire : juste la lente immersion du monde dans son ombre.

Pénombre

Le titre dit tout : ici, ce n’est pas la nuit noire, mais la zone intermédiaire où les formes se devinent encore. Berdal peint la limite entre le visible et l’invisible. Les contours des objets s’effacent, la lumière hésite. 

La pénombre devient métaphore du temps : il est évanescent , il n’est pas encore perdu, il vacille. Cette ambiguïté, Berdal la saisit avec justesse : le regardeur ne sait s’il assiste à l’arrivée de l’ombre ou à sa dissipation. Ce tableau rappelle que le temps n’est pas seulement une ligne, mais une zone d’incertitude. 

Les raisins noirs

Massés en une grappe compacte, les raisins semblent aspirer la lumière. Leur noir profond domine la toile, absorbant le regard. Pas de transparence, pas d’éclat : juste la densité sombre d’une matière pleine, presque étouffante. 

La grappe, fruit de l’abondance, devient ici symbole du poids de l’existence. Loin de la promesse festive du vin, ces raisins noirs évoquent la lourdeur du temps accumulé, la maturité qui précède la chute. Le tableau frappe par sa frontalité : rien ne distrait, tout ramène à cette masse sombre. 

Théière et balalaïka

Ici, l’obscurité s’anime dans un échange entre les goûts, les sons, et le ressenti. La théière rose, la tasse blanche et la balalaïka entrelacent leurs formes dans un espace presque clos. Les objets sont superposés, comme comprimés dans une même réalité. La balalaïka est réduite à une forme sombre, idée de musique plutôt qu’instrument. Face à elle, la théière et la tasse suggèrent un autre ordre : celui de la chaleur, du goût, du quotidien. 

Entre musique et thé, Berdal trace une méditation sur le temps vécu : l’attente, le souvenir, l’instant qui vient de s’éteindre. Le citron coupé, point lumineux au centre, dit l’acidité du temps qui passe, l’énergie qui se dissout. Tout semble s’être refermé, et pourtant, une vibration demeure : celle du son absent, de la chaleur disparue.

Le Mazagran

Un compotier lourd, une bouteille rouge sombre, un mazagran blanc : la composition est frontale, massive, presque écrasante. Rien n’échappe à la gravité de l’ensemble. Les fruits disent la maturité, la bouteille évoque le vin, le mazagran le café. Trois registres du temps : le naturel qui mûrit, le vin qui vieillit, le café qui réveille. 

Le rouge profond de la bouteille, le blanc fragile du mazagran, le vert sombre des fruits : tout est symbolique. Les couleurs n’élèvent pas, elles alourdissent. Le Mazagran rappelle que le temps n’est pas seulement suspension ou fuite, mais aussi poids, densité, irréversibilité.

III. Présence et absence

Peut-on peindre l’absence ? Chez Alex Berdal, la réponse est claire : le vide est une présence à part entière. Une chaise vide, un verre transparent, un corps endormi — tous deviennent des signes d’une intensité invisible.

Dans ces toiles, on ne voit pas le café dans les tasses, la chaise n'est pas une invitation à s'asseoir. L’absence décuple la force de la scène.

Berdal n’illustre pas un manque, il le transforme en structure. Ces toiles disent que le vide organise l’espace, qu’il est le lieu où l’imaginaire du spectateur s’engouffre. Ce qui manque devient moteur de sens, invitation à poursuivre l’histoire.

Cafetière sur une chaise

Deux récipients posés sur une chaise, un dossier de papier qui dépasse : tout paraît calme. Mais ce calme est trompeur. La cafetière en métal, sombre et austère, s’oppose au pot blanc qui capte la lumière. Entre eux, tout est attente : l’eau et le café sont encore à verser. 

Le spectateur devine ce qui n’est pas peint : la main qui saisira le pot, le geste qui remplira les tasses. L’absence est partout, mais elle est habitée. Le blanc laiteux du pot évoque l’âme, le métal gris la matérialité quotidienne. Berdal arrête l’instant où rien n’a encore commencé, où tout est déjà contenu.

Au café

Une table rouge, trois tasses, deux verres vides : la scène semble familière. Les consommateurs sont partis, ne laissant que les traces de leur passage. La composition rigoureuse décentre le regard : les diagonales, les cuillères orientées, tout suggère un mouvement circulaire qui n’existe plus. 

Les verres à vin, translucides, incarnent l’instant évanoui. Les tasses, solides, disent le quotidien. La tasse verte, fondue dans le mur, vacille entre visible et invisible. Ce tableau fait sentir au spectateur que le vide n’est pas absence d’histoire, mais au contraire accumulation de possibles.

Le pichet vert

Un seul fruit coupé, des branches de chardon desséché, une fleur fanée qui s’incline vers un verre vide : tout ici respire la soif inassouvie. Le fruit charnu est encore juteux, mais il est déjà entamé. Le verre attend une eau qui n’est plus. Le chardon fané, ultime vestige de vie, se penche vers l’absence. 

Berdal construit une scène où chaque objet est défini par ce qui lui manque. La pomme n’est plus entière, la fleur n’est plus vive, le verre n’est plus plein. L’absence n’est pas vide, elle est la trace visible du temps qui défait. 

Violon à la coupe blanche

Un violon sombre, une coupe blanche éclatante, quelques fruits dispersés : la scène est frontale, monumentale. Mais aucun son ne sort de l’instrument, aucune main ne s’en empare. Le violon est muet, réduit à sa présence matérielle. La coupe, au contraire, irradie, emplie de lumière. Elle symbolise ce qui demeure, la permanence. Tout est affaire d’oppositions : muet / résonant, fragile / stable, sombre / lumineux. 

Près du lac

Une silhouette allongée dort à l’ombre d’un tronc massif. Elle ne regarde rien, ne parle pas, n’agit pas : elle s’est retirée du monde. Et pourtant, c’est elle qui organise la scène. Le lac à gauche, la verticalité du tronc à droite, la lumière de l’été : tout est partagé par ce corps endormi. Présence fragile, presque effacée, mais décisive. 

Berdal peint l’humain comme une absence-présence : un être qui ne fait rien, mais qui donne sens à tout. La dormeuse incarne l’humanité dans sa condition la plus universelle : suspendue entre bonheur et dureté, entre ouverture du ciel et obscurité de la forêt. Le spectateur est invité à s’identifier à ce corps en retrait, à contempler avec lui le temps qui passe.

IV. La couleur transfigurée

Dans les sections précédentes, Alex Berdal avait suspendu le temps, montré son poids, révélé l’absence. Ici, il déploie la force de la couleur comme langage autonome. 

Le rouge devient croix et vitalité, sang et intensité. Le bleu, traversé de rouge, exprime la mémoire et l’intériorité. Le jaune irradie comme une lumière divine. L’ocre et l’orangé enflamment l’automne. Même le blanc, mêlé de transparence, devient signe de passage et de transcendance.

Dans cette partie, la couleur ne décrit pas : elle transfigure. Ce qui compte, ce n’est pas ce qui est peint, mais ce que la couleur fait advenir.

La table rouge

Pommes et poires disposées en croix sur une nappe rouge : tout ici est mouvement contenu. Le bouquet éclate de vie, la table semble glisser vers le spectateur. La croix oblique des fruits structure la toile, elle relie la vitalité du bouquet à la stabilité de la chaise. Mais c’est le rouge profond de la nappe qui domine. Rouge du sang, rouge de la vie, il dramatise la scène et lui donne une intensité quasi sacrée. 

Le canapé jaune

Un nu repose sur un canapé jaune éclatant. Ce jaune n’est pas décoratif : il rayonne comme une aura. Le corps est transfiguré par la lumière. Le canapé devient socle, presque icône. Le corps n’est pas seulement chair, il est comme traversé d’une couleur qui l’élève. Le tableau montre que la couleur peut infléchir la portée d'un sujet. 

Bouquet d’automne

Un bouquet flamboyant emplit la toile, éclat de rouges, d’orangés, de jaunes. L’automne est ici une apothéose. Chaque pétale semble vibrer d’énergie. Berdal cherche à capter la puissance d’une saison : celle où la nature s’embrase avant de s’éteindre. Les couleurs sont denses, empâtées, charnelles. 

Ce bouquet est affirmation de vie. La couleur, par sa flamboyance, transfigure l’éphémère.

Nu japonais

Le corps représenté ici est traité dans une tonalité dorée, résonnant avec l’esthétique japonaise de l'oeuvre. Le jaune, ici encore, joue un rôle central. Mais il est modulé, mêlé aux ocres et aux rouges, créant une chaleur qui transfigure la figure féminine.

Nuage

Une cruche, un verre, un fruit, mais surtout le ciel. Un ciel traversé de nuages, clairs, changeants, mouvants. Le tableau n’a pas de sol, pas d’horizon : il est fenêtre vers l’air, vers le passage. Le nuage devient symbole du temps visible : insaisissable, sans forme stable, toujours en devenir. Berdal le peint presque effacé, mais intensément présent. La couleur blanche du nuage n’est pas vide : elle est énergie, mouvement. Elle transfigure la scène en méditation sur le temps qui passe. Ici, la couleur ne fige pas, elle libère. 

Et si Berdal nous guidait vers la sérénité ?

Alex Berdal traite sans détour la question du temps. Le temps qui suspend, qui pèse, qui efface, le temps qui sépare présence et absence.
Fruits, couteaux, chaises, instruments, nuages : tout ce que le temps menace de détruire, Berdal le retient par la peinture. La couleur agit comme promesse : elle montre que tout passage sur terre porte un sens.
L'œuvre de Berdal agit comme un soutien. Elle rappelle que le temps qui s’échappe n’abolit pas la vie, mais la rend plus dense, plus précieuse. Berdal ne nous laisse pas face au vertige du temps : il nous apprend à l’habiter. 

Posséder une œuvre de Berdal, c’est inviter chez soi cette force de présence. Ses peintures portent une énergie qui aide à trouver, dans le quotidien le plus simple, une beauté qui éclaire.