Une dénomination intrigante : que veut dire MADI ?
Madi est l’acronyme de Movimiento Artistico De Invencion qui sera ensuite enrichi dans la traduction française par l’ajout du terme "Dimension" : Mouvement Abstraction Dimension Invention. Le "D" apporte une Dimension de plus, tout en caractérisant la fluidité même du mouvement.
Mais comme le caractère même du "Madisme" est l’invention, et l’invention dans le jeu et la gaîté, le nom du mouvement n'a pas longtemps conservé la simplicité trompeuse de ses deux syllabes. Les fondateurs se sont amusés à brouiller les pistes :
- Madi serait-il le MAtérialisme DIalectique de l’art ? Amusante construction, d’autant plus que le marxisme-léninisme, fondé sur le matérialisme dialectique en histoire, a condamné l’abstraction géométrique comme expression du formalisme petit-bourgeois
- Madi serait-il issu de la mégalomanie de son fondateur ? CarMeloArDen QuIn ? Peu plausible quand on connaît l’indéracinable modestie dudit Carmelo Arden Quin, mais l’on voit se pointer dans cette invention assez désordonnée son sens de l’humour a posteriori.
- Madi serait-il une citation du slogan républicain de la guerre civile espagnole Madrid, Madrid ne pasaran? Peu plausible lorsque l’on connaît la neutralité du madisme qui se bat pour toutes les formes de liberté uniquement par les œuvres qu'il produit.
Cette ambiguïté du nom même du mouvement est porteuse de sens : Madi, c’est le jeu des significations entremêlées, tout comme l’œuvre d’un artiste Madi est passage, recomposition, retour en arrière pour mieux aller de l’avant. Est Madi la démarche artistique qui, par la fluidité même de l’interaction des formes et des couleurs, fait avancer l’art et son inscription dans la société vivante.
Le mouvement Madi, 1er temps : Carmelo Arden Quin
Madi, c’est d’abord le charisme d’un homme, l’uruguayen Carmelo Arden-Quin (1913-2010) qui vit son art comme une perpétuelle recherche. Arden-Quin est l’être des rencontres, des échanges et des enrichissements.
La naissance du mouvement se déroule en Argentine
Un groupe de jeunes artistes, Arden-Quin, Kosice, Rothfuss, etc., découvre l’œuvre de Joacquin Torrès-Garcia. Ce choc esthétique détermine l’orientation artistique globale du mouvement : l’abstraction géométrique. Mais contrairement à l'abstraction géométrique du tout début du XXème siècle, le mouvement Madi est marqué par la volonté de ne pas se laisser enfermer dans des règles strictes, ce qui est aussi une continuation des démarches de Torres-Garcia. Un premier manifeste du mouvement Madi est conçu en 1946, avec son emblématique slogan : L’œuvre est, n’exprime pas. L’œuvre est, ne représente pas. L’œuvre est, ne signifie pas.
Arden-Quin lisant le Manifeste Madi 1946 ©Musée d'Art et d'Histoire de Cholet, exposition « MADI, Carmelo Arden Quin & Co »
Une première scission du mouvement Madi intervient dès 1948. La majorité des Madis argentins désire s’orienter vers une imprégnation sud-américaine du principe créatif. Carmen-Quin défend l’universalité de l’inspiration Madi et tire les conséquences de sa conviction : il part à Paris pour rencontrer les grands abstraits géométriques, pourvu d’une recommandation de Torres-Garcia auprès de Michel Seuphor. À Paris, Arden-Quin oriente sa passion Madi vers 3 directions différentes que l'on retrouve ci-après.
L’enrichissement au contact des maîtres
Arden-Quinn rencontre Vantongerloo, qui l’initie à la force révolutionnaire du Blanc. Il rencontre aussi Picabia, qui travaille sur la forme du Point et son impact structurant sur l’espace. Il fait la connaissance de Jean Peyrissac qui lui ouvre avec ses mobiles la perspective du mouvement dans l’espace.
Arden-Quin dans son atelier parisien circa 1950 ©Musée d'Art et d'Histoire de Cholet, exposition « MADI, Carmelo Arden Quin & Co »
La création et l’exposition des œuvres Madi
Arden-Quin regroupe autour de lui des artistes sud-américains et français, dont la gloire montante Roger Desserprit. Colette Allendy offre aux Madis leur 1ère exposition de groupe en 1950, puis c’est Suzanne Michel en 1951 qui rassemble Arden-Quin, Jesus Rafael Soto, Jeanne Kosnick-Kloss, au sein d'une exposition... Quant au Salon des Réalités Nouvelles, le salon réservé à l’art abstrait, il consacre bientôt une salle entière au mouvement Madi.
L’établissement d’un climat de recherche stimulant
Carmen-Quin ne se vit pas comme un gourou, mais comme un passeur. Il rassemble dans le cadre d’un centre de recherche des jeunes artistes de la génération montante, comme Roger Neyrat, Ruben Nunes, Marcelle Saint-Omer, Alicia Penalba et les fait intervenir chaque semaine sur l’état de leur recherche picturale, créant une émulation stimulante entre les participants. On voit aussi se mêler à ce groupe : Auguste Herbin, Marcelle Kahn et Cesar Domela.
Le centre de recherche Madi en plein activité ©Musée d'Art et d'Histoire de Cholet, exposition « MADI, Carmelo Arden Quin & Co »
Le groupe Madi, s’il reste circonscrit à un petit nombre d’artistes, commence à infuser le climat artistique de la capitale. On peut citer par exemple en 1953, les 1ères sculptures animées par moteur électrique qui sont exposées au Salon des Réalités nouvelles par Arden-Quin et Nunés, alors que Tinguely et Agam eux aussi explorent la même démarche, mais seulement à la fin de la même année. De même les 1ères sculptures et œuvres vibratoires sont Madi. Les recherches Madi furent aussi précurseures du minimalisme, dans la lignée de l’enseignement transmis au groupe par Vantongerloo. Cependant, lorsque Denise René lance l’art cinétique dans son exposition Mouvement, elle n’expose pas le groupe Madi en tant que tel. Des proches du mouvement y figurent, comme Jesus Rafael Soto, mais à titre uniquement individuel.
C’est le moment d’une baisse de notoriété pour le mouvement Madi. Seuphor, le pape de l’abstraction en France, ne les prend pas au sérieux, et ne comprend pas l’originalité de leur démarche. Arden-Quin est reparti en Amérique latine et lorsqu’il revient en France, il cesse en 1958 de créer pour se consacrer à des activités plus matérielles et rémunératrices (la gestion d’un atelier de menuiserie appartenant à son beau-père). Cela aurait signé la fin des Madis, si ceux-ci n’avaient été qu’un simple groupe d’individualités artistiques. Or, il n’en est rien.
Le mouvement Madi, 2ème temps : la résonance Madi
Madi, d'un simple groupe artistique, est devenu une véritable culture. Plusieurs facteurs concourent à l'essaimage du mouvement Madi autour du monde. Tout d'abord, l'esprit du centre de recherche se perpétue de manière plus ou moins formelle. Des émules Madi créent des groupes de recherche en Belgique, au Japon, en Hongrie, avec toujours la même idée de transmission et de renouvellement dans la liberté. Cette démarche débouche sur une organisation internationale souple visant à faire connaître les activités des différents sites nationaux. Joël Froment, artiste français de renom, coordonnera cette structure de 1996 à 2008.
Puis le retour public de Carmelo Arden-Quin à la création plastique irrigue le mouvement tout en maintenant sa fluidité. Arden-Quin met son inventivité au service de tous. Il a un principe : ne jamais exposer seul et profiter de sa notoriété pour mettre en valeur tous les artistes Madi. Création de revues, création d'Orion - galerie et centre d'échange etc... Son activité est incessante et galvanise.
Une hétérogénéité vivifiante
Les artistes Madi ont ceci d’original que les convictions personnelles de chacun viennent enrichir le flux créatif du mouvement. Ce n’est pas un mouvement normatif, comme De Stijl avec des règles et des ostracismes. Le seul principe : s’exprimer par la couleur et la géométrie. À partir de cette base commune, les artistes Madi créent librement en fonction des diverses formations culturelles et artistiques de chacun. C’est la rencontre de ces diversités qui vivifie le mouvement et lui donne sa permanence, son extension et sa longévité.
Le mouvement s’apprécie à l’échelle planétaire : il y a toujours de nouvelles galeries, de nouveaux musées qui se créent, de nouveaux collectionneurs qui interviennent sur le marché. Lors de la dispersion de l’atelier d’un peintre Madi, les acheteurs sont d'ailleurs toujours internationaux, car la fluidité de la conception Madi permet aux œuvres d’être appréciées dans toutes les cultures.
Une veine créative profonde
Dans Madi, il n'y a pas d’exclusion, mais un rassemblement autour de quelques principes simples :
- S’adonner à une recherche exhaustive sur la forme, la couleur et les matériaux
- Être en mouvement vers une inventivité toujours plus grande
- Garder à l’art sa dimension de liberté et de jeu
Carmelo Arden-Quin 1998 © Michael Baret/Rapho
Un rayonnement international
Décrire la diversité et l'enthousiasme Madi de manière synthétique est difficile tant sont nombreuses les manifestations et les orientations du mouvement. Voici cependant un aperçu très succinct de la propagation Madi.
Madi en France
Les galeristes du Madi
La galerie Allendy, pionnière, fut bientôt suivie par d'autres galeries parisiennes. Denise René, qui avait écarté les Madis un 1er temps, les expose en 1958, mais en s'intéressant aux artistes non français du mouvement. L’art Madi n’est pas resté un phénomène parisien. En 1974, Alexandre de La Salle, le galeriste de Saint-Paul de Vence qui jusqu’alors avait fondé sa carrière sur la défense des artistes de l’Ecole de Nice, décide d’élargir son rayon d’action. La création Madi le fascine pour sa liberté et son indépendance. Il crée un nouveau lieu, juste en dessous de la Fondation Maeght. Face à Yvon Lambert qui défend l’abstraction américaine, Alexandre de la Salle introduit les Madis dans le sud de la France (en 2000 la galerie est revendue à Guy Pieters qui lui donne une autre orientation.)
Actuellement, c'est entre autres la galerie;Aller Simple à Longjumeau fondée par l'animatrice d'Orion, Catherine Topal avec Alain Clavier, qui fait vivre l'âme Madi.
Les musées où l'on trouve Madi en France
Le musée d’art et d’histoire de Cholet possède dans ses salles d’expositions permanentes une belle collection d’artistes Madis. Son exposition de 2011 « MADI, Carmelo Arden Quin & Co » fait date.
Affiche de l'exposition de 2011©Musée d'Art et d'Histoire de Cholet, exposition « MADI, Carmelo Arden Quin & Co »
Le CIAC de Carros, (Nice) aux collections spécialisées dans la création contemporaine du Sud de la France, organise en 2011 une exposition intitulée Conscience polygonale, de Carmelo Arden Quin à MADI contemporain. Enfin, l'Espace de l'Art Concret au Chateau de Mouans réunit une collection où l'on trouve des œuvres d'artistes proches ou influencés par Madi, comme François Morellet.
Un drame dans la mouvance Madi
Jean Legros dont les travaux sur les modifications de l'espace par la couleur se situent dans la mouvance Madi est désespéré par l'incompréhension qui accueille son travail et se suicide en 1981.
Les générations d'artistes influencés par Madi
Roger Bensasson, né en 1931, Jean Charasse, né en 1941, Philippe Vacher né en 1947, Gaël Bourmaud, né en 1975.
Madi en Belgique
Jean-Claude Faucon a animé son œuvre grâce au souffle Madi, dont il est l'un des théoriciens actifs.
Madi en Italie
Le mouvement Madi s'est particulièrement développé en Italie, avec des artistes de toute 1ère qualité, comme Salvador Presta ou Piergiorgio Zangara qui est un des coordinateurs de Madi international. Franco Cortese, né en 1949 à Giovinazzo fait partie de Madi International. Un réseau de galeries très innovantes diffuse également l'esprit Madi. On peut mentionner à cet égard Arte Struktura, association culturelle et centre international d'art contemporain, animé et fondé par Anna Canali à Milan.
Salvador Presta. 1985. MADI. Alucinata concentrazione
En 2010 est inaugurée MAGI’900, une exposition permanente du Mouvement Madi, au Museo Bargellini, à Bologne.
Madi en Espagne
La grande exposition au Musée de la reine Sophie en 1997 est un moment marquant pour le mouvement en Espagne.
Vue de l'exposition Arte MADI, 1997©Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía
Madi en Europe de l'Est
Dans les pays de l’ex-pacte de Varsovie, saturés de réalisme qui fut l’unique expression artistique publiquement encouragée jusqu’à la chute de l’URSS, le mouvement Madi fait l’effet d’une heureuse libération. Cette abstraction géométrique mondiale, ludique et apolitique qui fonctionne dans une démarche de rassemblement stimule la création artistique et l’accès aux autres langages artistiques dont le rideau de fer avait privé plusieurs générations d’artistes.
En Hongrie, il faut noter l’impressionnante vitalité du Mobile Madi Museum qui fête ses 20 ans en 2013 à travers une exposition Madi internationale à l'Université de Budapest.
Catalogue des œuvres de la collection du Mobile Madi Museum
Madi en Amérique du Sud
Le mouvement Madi y est souvent admiré pour des raisons de fierté culturelle et nationale et son aspect latino-américain souligné plus que son aspect international. L'esprit Madi est bien vivant parmi les artistes, par exemple à travers l’uruguayen Bolivar, artiste Madi dont la cote est aussi soutenue dans son pays que sur le marché international, ou Jose "Pepe" Caceres.
2 musées : Dallas (USA) et Sobral (Brésil)
En 2003, ouvre à Dallas un musée d'art Madi et d'art géométrique, dans un bâtiment rénové pour être un manifeste de l'architecture Madi. Né de la passion de 2 mécènes, Bill and Dorothy Masterson, le Museum of Geometric and MADI Art rassemble une collection privée d'artistes Madi et édite la biographie d'Arden-Quin When art jumped out of its cage, réaliséE par Shelley Goodman, l'épouse de l'artiste Madi Volf Roitman.
En 2005, c'est à Sobral au Brésil qu'ouvre le 5ème musée au monde consacré à Madi. Les œuvres, sélectionnées personnellement par Arden-Quin, sont des dons de 70 artistes Madis reconnus internationalement.
Museu Madi Sobral - ©museus.cultura.gov.br
Crédit photo de couverture de l'article : MuseoReinaSofia, Exhibition view. Arte MADI, 1997
Il y a encore tout un trésor à découvrir dans le mouvement MADI.