Les débuts littéraires et l'incarnation de la "femme-enfant" (1934-1936)
L’entrée dans le mouvement surréaliste (1934-1936)
À 14 ans, Gisèle Prassinos devient une révélation littéraire. En 1934, son frère, le peintre Mario Prassinos, montre ses écrits à l'entourage surréaliste, et elle fait une forte impression. C’est Paul Éluard qui, émerveillé, les fait lire à André Breton. Ce dernier reconnaît immédiatement en elle l'incarnation de la fameuse "femme-enfant" du surréalisme, un concept idéal qui symbolise l'innocence et la créativité libre de toute contrainte rationnelle.
L'année suivante, en 1935, elle publie son premier recueil, "La Sauterelle arthritique", avec une préface d'Éluard et une introduction de Jean Paulhan. Elle devient rapidement une source d'inspiration pour les figures majeures du surréalisme, qui apprécient la dimension innocente et étrange de ses récits. À cette époque, elle participe activement aux événements surréalistes, comme les "Jeux surréalistes" de 1936, où elle fait des lectures publiques devant le cercle d’André Breton.
La femme-enfant, muse des surréalistes
L’aspect "femme-enfant" de Gisèle Prassinos est un élément clé dans son rôle au sein du mouvement surréaliste. Elle correspond à cette image que Breton et les autres surréalistes glorifient : une jeunesse touchée par l'inconscient, un flux d’inspiration spontané non altéré par des filtres sociaux ou logiques. Ses récits bizarres, peuplés de métamorphoses étranges et de personnages absurdes, marquent cette fascination pour le non-rationnel. Les surréalistes étaient également fascinés par le contraste entre l'apparence juvénile et innocente de Gisèle Prassinos et la profondeur onirique et perturbante de ses écrits.
Les artistes comme Man Ray ou Hans Bellmer collaborent avec elle, réalisant des illustrations et des photographies pour ses textes. En 1937, elle publie "Le Temps n’est rien", un roman qui continue à creuser cette veine surréaliste, mais marque aussi son début d’indépendance en tant qu’écrivain.
L’éloignement progressif du surréalisme littéraire (1940-1950)
Au début des années 1940, alors que le mouvement surréaliste perd de cohésion en raison de la guerre, Gisèle Prassinos commence à écrire en tant que femme adulte. Elle ne renie pas ses liens avec le surréalisme, mais son œuvre s’éloigne des dogmes stricts du mouvement, pour explorer des thèmes plus personnels. En 1940, elle épouse Pierre Frize, un résistant français, et la vie familiale modifie son rapport à l'écriture. Elle continue de publier, notamment "Le Visage effleuré de peine" en 1945, un recueil de nouvelles qui témoigne d’un ton plus grave, influencé par la guerre. Son style évolue vers une complexité psychologique plus prononcée.
L'éveil à la peinture (années 1960)
À partir des années 1960, Gisèle Prassinos se consacre à la création d’œuvres plastiques tout aussi intrigantes que son écriture, ce qui donne un nouveau tournant à sa création littéraire. Ses œuvres visuelles, en dialogue constant avec ses écrits, explorent les thématiques du rêve et de la transformation. Sa peinture reprend des thèmes similaires surréalistes à ceux de ses écrits : une exploration des rêves, de l'inconscient, et des mondes étranges où les frontières entre le réel et l'irréel se brouillent.
Une exposition clé a lieu en 1974 à la galerie Carrefour, où Gisèle Prassinos dévoile une série de peintures qui plongent dans l'imaginaire surréaliste, bien qu'avec une approche plus personnelle et intimiste que ses contemporains masculins. Elle y explore des scènes oniriques, marquées par des couleurs riches et une narration visuelle étrange, parfois totalement abstraite, à l’image de ses textes littéraires.
L'œuvre plastique et littéraire (1970-1990)
Gisèle Prassinos peint avec acharnement, et sa production picturale a continué de grandir en parallèle de ses travaux littéraires.Elle travaille beaucoup les collages, ainsi que l'art textile, réalisant des tentures aux couleurs vives. En 1975, une exposition de ses œuvres picturales surréalistes est bien accueillie à la Galerie Ducourneau, à Paris, où elle expose des toiles évoquant ses propres récits absurdes, peuplés de formes indistinctes et de paysages déformés.
Parmi ses œuvres les plus marquantes figurent des séries de peintures dans lesquelles elle travaille sur l’angoisse et les souvenirs enfouis. Ces œuvres, comme celles exposées en 1986 à la Galerie Valérie Schmidt, mêlent des techniques d’encre et d’huile, créant des images troubles, parfois énigmatiques. À travers sa peinture, Prassinos crée des récits visuels, des formes organiques en expansion, comme si elles sortaient d’un rêve ou d’un état de transe. Cette approche rappelle ses débuts en tant que poétesse surréaliste, une sorte de "peinture automatique" en écho à son écriture. En parrallèle, elle continue à publier. Parmi ses ouvrages marquants, on trouve "Les Mots endormis" (1967) et "La Table de famille" (1971), œuvres dans lesquelles elle revient sur ses obsessions littéraires, tout en intégrant des influences plus modernes.
En 1975, elle publie un livre d'artiste où elle mêle ses textes littéraires et ses travaux artistiques de Tapisserie, Brelin le frou ou le Portrait de famille, chez Belfond en format poche. A partir de la même date, elle est invitée à participer à des expositions surréalistes rétrospectives, consacrant son rôle dans l’histoire du mouvement. En 1985, elle reçoit le Grand Prix de la Littérature Fantastique pour l'ensemble de son œuvre écrite, qui met en lumière ses contributions à la littérature française.
Réception et rétrospectives (années 1990-2010)
La contribution de Gisèle Prassinos au surréalisme, en tant que symbole de la "femme-enfant" sans véritable identité, reste singulière, et son œuvre picturale enrichit cette facette de son talent. La reconnaissance de son œuvre picturale et littéraire prend un nouvel essor à partir des années 1990. Plusieurs rétrospectives lui sont consacrées, notamment en 1997 à la Galerie du Passage, où une grande partie de son œuvre plastique a été mise en lumière.
Gisèle Prassinos est décédée en 2015 à l'âge de 95 ans, laissant derrière elle une œuvre dense et inspirée. Tout au long de sa vie, elle fut une figure unique du surréalisme, alliant une écriture nourrie par l'inconscient et une production plastique tout aussi onirique. Son passage à la peinture marque une phase importante de sa carrière, confirmant sa polyvalence et son rôle crucial dans la vitalité du surréalisme après André Breton. Ses œuvres, tant littéraires que picturales, sont des manifestations d'une créativité débordante, libres de toute contrainte rationnelle, célébrant le rêve, l'absurde et l’inconscient.
Une analyse de l'oeuvre de Gisèle Prassinos figure dans le Dictionnaire universel des créatrices" de Béatrice Didier, Antoinette Fouque et Mireille Calle-Gruber. Pour en savoir plus : Gisèle Prassinos où la révolution surréaliste de l' "écolière ambigue", par Annie Richard.