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Pragmatique arrive chez Furetante.

Pragmatique : Je hais le RER ! Tous ces gens entassés qui vous regardent avec une lueur féroce dans les yeux, du genre « je te mets au défi d’entrer dans MON wagon, viens-y que je t’étripe».

Elle s’effondre sur le divan.

Allez montre-moi tes dernières trouvailles.

Furetante commence à sortir deux puis trois puis quatre tableaux.

Pragmatique : Mais dis-moi, il y en a combien comme ça ? Ils n’étaient pas là hier ! Tu as loué un transporteur ?

Furetante :Non, moi aussi, je pratique le RER. Et j’adoooore. Tout ça a été transporté via RER.

Pragmatique regarde l’imposant tableau que Furetante vient de déballer :

- Mais il est aussi grand que toi ! Comment as-tu fait pour l’amener ici ?

Furetante esquisse un pas de danse avec le tableau, l’œil pétillant :

Ça, c’est ma botte secrète : le transport de tableau King size. Et sache-le, je m’amuse comme une petite folle. Ça se déroule en trois actes. Tout commence au petit matin, le lendemain d’une vente, dans les réserves de la salle des ventes. Au début de l’acte I, la première chose que je rencontre, c’est le regard dubitatif des commissionnaires qui jaugent l’empilement de tableaux que je viens de retirer du magasinage.

- « Mais ma p’tite dame, vous n’y arriverez jamais ! »

Alors je sors mon arme fatale. Un immense, gigantesque sac à tableaux qui, replié, tient dans une pochette. Je me réjouis à chaque fois que je le déploie devant l’œil ébahi de l’assistance. Un tableau, puis un autre, puis un autre. Hoqueti poqueti poc ! Tout rentre ! Je suis Merlin qui fait tout tenir dans son sac!

À ce moment, j’attends la grande phrase du second acte, qui ne manque jamais d’arriver.

- « Mais, ma p’tite dame, vous n’allez jamais pouvoir porter tout ça »me disent les commissionnaires d’un air goguenard.

« C’est beaucoup trop lourd pour vous. »

Alors.Han, d’un geste digne d’un haltérophile champion du monde, je projette le sac sur mon épaule, ignorant avec superbe le coin pointu d’un cadre qui vient de rentrer dans mon mollet.

D’accord, c’est lourd. Je m’effondre presque sous le poids mais je ne le montre pas. On a sa petite fierté. Me voilà partie, dans l’attente de la réplique du troisième acte

- « Eh, dites moi, m’dam’, vous l’avez acheté où, vot’ sac? Semble rud’ment pratique. ! » finissent par me dire les commissionnaires.

Je les salue et je m’avance vers la bouche de métro, d’un pas alerte.

Pragmatique soupèse un des tableaux :

- D’un pas alerte ? Alerte, mon œil ! Je vois ça d’ici, tu devais ressembler à un âne bâté !

Furetante :Eh, ne gâte pas mon triomphe ! Eh puis d’abord, les ânes, il n’y a rien de plus gentil, de plus intelligent… Et le poil de leurs grandes oreilles est si doux !

Pragmatique : Furetante, tu vas arrêter de me faire tourner en bourrique ! Je n’en ai rien à faire, des ânes et de leur intelligence !

Furetante, ravie d’avoir écorné le flegme légendaire de son amie, reprend :

- Ceci dit, sur le quai du métro, je fais un peu moins la fière. Je me dis qu’on ne m’y reprendra plus, que je vais me casser le dos, mourir de lumbago et de sciatique réunis, Mais quand la rame arrive, je retrouve le sourire : tu verrais la tête des voyageurs quand la porte du métro me révèle à leurs yeux, plantée sur le quai, armée de ce sac immense, de la taille d’un écran plat extra-large. N’écoutant alors que mon courage, j’utilise mon sac comme bélier et je fonce dans le tas !

Pragmatique, horrifiée : Non, tu n’as quand même pas osé !

Furetante : Oh, allez, tu me connais. Ce n’est pas mon genre. Je laisse passer une ou deux rames pour en attendre une moins compressée. Au bout de la troisième, toujours aussi bondée, je perds patience. J’entre doucement, doucement, en essayant de me faire petite. Mais mon sac, lui n’en parait que plus grand. Aie. Je ne me fais pas que des amis. Les gens se liguent contre moi. Alors j’entreprends ma petite campagne politique personnelle.

* Un : le sourire, vaillant mais pas arrogant.

* Deux, la fatigue au coin des yeux et dans le pli de la bouche. Là, je n’ai pas à faire semblant, je sue à grosses gouttes et je souffle tel le phoque sous le poids de l’Art.

* Trois, une kyrielle, que dis-je, une litanie d’excuses : pardon, excusez-moi, pardon, je suis désolée, pardonnez-moi, toutes mes excuses….

Ça y est, un des voyageurs est sensible à mon désarroi. Il lève les yeux du gros pavé qu’il continuait de lire, insensible à la cohue et à l’énervement ambiant. Il bouge sa serviette qu’il avait posée devant lui pour se créer un rempart. Il s’efface pour me laisser passer. Et la magie opère. Tout le wagon m’accueille, mon sac trouve une place contre le pilier central et les rangs se resserrent autour de moi. Je me sens bien. J’appartiens à la Grande Communauté Humaine, les gens m’ont acceptée!!!

Où l'on apprend qu'il y a parfois des personnes civiles dans le RER.Pragmatique, énervée : Dis, ton trip mystique, mets-le en sourdine ! C’est le RER, quand même. Pas une réunion du Parti Communiste ou des Saints Anges !

Mais Furetante continue de plus belle :

- Allons, un peu de foi en l’Homme, ma grande ! Tu ne devineras jamais le titre du livre que lisait mon sauveur, l’homme qui a détourné de moi la colère de la foule, mon chevalier blanc !

Pragmatique lève les yeux au ciel :

- Qu’est-ce que tu vas encore me sortir ?

Furetante s’exclame :

- Il lisait : Philosophie dans l’Athènes ancienne et neurobiologie moderne. Toute l’évolution du genre humain résumée dans un seul titre ! Je te le dis, l’Homme est bon, on peut avoir Foi dans l’Humanité. Et pour s’en rendre compte, il suffit de prendre le RER !

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